J’essaie, lorsque les sorties
mondaines ne prennent mes après-midis, d’aller sur la plage quotidiennement, y
marcher, m’y étendre et lire en y mangeant généralement mon premier repas de la
journée. Oui, je me réveille à 5 heure et je mange dans l’après-midi. C’est le
régime morbide dont j’ai parlé dans un autre papier, que dis-je un autre
document ou une autre entrée. J’ai un très joli petit bikini, mais en ai eu un
plus petit à mes 25 ans fleuri, autour duquel je me badigeonne pour ne pas être
une noiraude comme la bergère que les gardiens de Jérusalem battent lorsqu’elle
se rue dehors, découverte, pour rejoindre son amoureux. Or, malgré les crèmes,
ça ne saurait tarder, car mon astre préféré prenant peu de repos avant de me
refaire langoureusement l’amour, me recuire pour m’attendrir, me faire
délicieuse, bien qu’il m’éclaire, simultanément me noircit. N’empêche, ne
porter que ces petites culottes et cette petite brassière suffit peut-être à
faire croire aux garçons qui passent, jeunes et vieux, mais surtout jeunes, que
je suis bel et bien une fille de mauvaise vie. Que voulez-vous, j’ai tellement
vu de femmes le cul dans le sable, le voile sur la tête, les bas de nylon dans
les chaussures, les manches longues rejoignant parfois les gants, faisant que seule
la peau des joues est exposée maux regards et, connaissant la rhétorique des
islamistes ou l’origine même de cette supposée injonction proposée à La Mecque,
Las Vegas du temps jadis où les prostitués frayaient allègrement aux côtés des
marchands qui venaient y faire tous types de commerce, que j’entends presque
les imams dire que oui, presque nue dans un espace public, une femme ne peut
être qu’une pute ou une occidentale, ce qui revient au même grâce à cet
amalgame également créé par la cinématographie hollywoodienne ou par le seul
fait que cet musulman inconnu ait couché avec une telle femme ne daignant pas
conserver sa virginité pour les liens sacrés du mariage, pour l’unique et
surtout pour ne pas être répudiée. Seule sur le sable, les pieds dans l’eau
(Roch Voisine sort de ce corps!), je me laisse prendre par le fidèle amant et,
au passage, dans les filets que sont les cils frétillants des garçons qui me
découvrent bien découverte et fantasment à plus soif. Sirène échouée depuis des
lustres, dont la queue s’est heureusement mutée en jambes par un pacte conclu
avec une fée puisque mon amour fou pour un mortel bipède m’a mené à ce choix
fatidique. Je le voulais entre mes jambes, il fallait donc me fendre jusque
sous le nombril sans néanmoins perdre complètement cette odeur océane. À ces
relents de ma vie sous-marine s’ajoute la perle qui me fait jouir quand elle
tournoie dans son écrin. Presque nue, la peau d’or, quelqu’un qui n’a rien vu
s’en régale, bien que je sois raide maigre et que ma face se cache derrière L’homme sans qualité grand ouvert à
hauteur des yeux. C’est donc le phénomène inverse de ce que j’ai décrit
précédemment qui a lieu sur cette plage. Les yeux masculins ont le loisir de se
promener à la surface de tout mon corps, d’imaginer avec facilité ce qui
disparaît au niveau des seins et du sexe, sans voir la peau de mes joues!
Avant hier matin, le ciel charroyant
des kilomètres de nuages, je me suis assise face aux vagues se gonflant
démesurément pour mieux s’abattre avec fracas à la fin de leur course et
plongeais dans le sublime album de Karen Young, Canticum Canticorum, Shir
Hashirim en hébreu ou le Cantiques des cantiques pouvant être également traduit Chant des chants, car le
plus beau. Cet échange amoureux, ce poème sur l’union de l’homme et de la
femme, sur ce qui ne peut s’éveiller sans son bon vouloir me sort du corps sans
retenue. Les notes fusent, m’élèvent dans ce paysage et, seule sur le sable les
yeux dans l’eau, car il est à peine 7 heure, je suis terriblement heureuse. Je vois
à l’horizon un homme qui pèche assis dans son 4x4 et sais qu’il ne m’entend
pas. Pourquoi me censurer? Je connais les paroles, je ne fausse pas et j’en
retire un plaisir si doux que ce serait bête de s’en priver. Ce matin-là,
toutefois, puisque le ciel est bas et menaçant, que le vent qui se lève généralement
quand le soleil est au zénith sur le Québec est alors bien présent, aussi violent
qu’au couchant quand je grelotte sur le balcon, enragée d’étoiles et de rayons
de lune sur la mer, je gèle. J’ai gardé mes vêtements et me suis même enveloppée
de ma serviette et me balance comme une autiste ou un pieux au Mur des
lamentations avec sa Torah dans la face. Je me berce comme lorsque je lis sans
appui, je dance sur mes deux fesses. I will seek him, the love of my
soul. Rise now! I will look for him. He’s the love of my soul. Je chante
et je pleure, la peau des joues couvertes de la même eau salée que j’ai aux
pieds. Toutes ces pièces musicales me jettent dans cet état depuis leur
première audition, jusqu’au spectacle qui me vit à la toute fin parfaitement
ruisselante, baignée de ce que j’aime le plus au monde, un état spirituel où je
n’existe plus car les fruits de l’amour et de l’arbre défendu, oui, les fruits
de la connaissance qui rendent manifeste l’expression de si jolies pensées,
sont disponibles, sont de saison. There is a smoke breathing of myrrhe
and flesh. Behold the sons of Salomon. Le menton relevé pour
que ça sorte, la tête vers les hauteurs, je garde un œil sur ce que pousse le
vent, je cherche l’éclaircie. Ce n’est pas encore l’été en Tunisie et l’absence
de mon bien-aimé modifie toute appréhension du climat. Son absence me fait
sentir mes os, le peu de chair qui pourrait me protéger contre les affres des ombres.
Puis, je réalise qu’un quidam est perché sur la butte d’où il m’épie et
m’entend probablement. Il ne quitte son poste bien que je l’ai aperçu, il reste
là comme une charogne qui attend les derniers sursauts de la bête famélique qui
rend l’âme en remuant nerveusement les jambes, d’anodins réflexes nerveux, rien
n’indiquant que l’existence va se prolonger. Je pense qu’en plus des cheveux et
des épidermes des femelles, dans les discours de certains imams leur voix est
un envoutement dangereux et peut faire perdre la tête à celui qui ne l’a pas
bien attachée à son corps ou trop strictement attachée aux pulsions et affects
qui l’agitent. O daughters of Jérusalem. Il ne faudra donc pas suivre
le fil qui fend ainsi l’air ou se mêle aux tambours de l’océan, se rabattre les
oreilles pour éviter ses do, la, fa et sol qui s’agencent en ribambelle, ronde
joyeuse rappelant la douceur de la jouissance émise du fond de cette caisse de
résonnance. Mes ha et mes ô, mes sous ta
langue, du miel et du lait, que l’odeur de ton haleine est comme celle des
pommes, mes tu me ravis le cœur,
sont peut-être compris, pris pour lui n’entendant jamais de chants d’amour, tes yeux comme des vasques en Heshbôn. Ah, qu’elles sont belles tes caresses ne
s’adressent pas à lui, mais pauvre d’amour, il quémande, comme tous et chacun,
cette sublime affaire et récolte donc ce chant. Je continue donc jusqu’à la
fin, m’étant jurer de me rendre à la fin bien que de glace soient mes mains. Ma
patience ou mon entêtement paiera, puisqu’au final, mon chéri frappe et je me
dévêts légèrement. Sa patience ou son entêtement le paie donc lui aussi, cet
homme en beige qui me toise, car une heure plus tard, il est toujours là,
revenu à sa station initiale après être descendu sur la plage à quelques mètres
de moi, puis s’être placé directement au-dessus de l’endroit où je me tiens.
Raide maigre, je vous dis, car frugal est la diète, mais peut-être parce que je
suis sans cesse dévorée des yeux. Il y a cet homme en beige, mais il y a le
jeune au café qui insiste pour me serrer la main dès que je passe sur la rue, qui
accoure dehors pour mettre sa paume à ma paume, et veut absolument faire la
conversation quand je vais m’y asseoir pour écrire en buvant un thé à la
menthe. Il y a ceux qui m’accostent dans la rue, dans le train, dans l’autobus,
au magasin. Il y a ceux qui ne disent
rien, mais dont les pupilles crient ou qui me montrent leur pouce relevé, tout
sourire, et ceux qui osent m’adresser le bonjour et les questions d’usage.
« France? » Voilà un mois que je suis en Tunisie et contre toutes les
prédictions, je suis écœurée. Pas d’être en ces éblouissants sites, de
déambuler dans les médinas aux murs lambrissés, pas d’écrire pendant des heures
au soleil en me levant, pas de manger de la salade méchouia quotidiennement, mais
d’être une cible. Moi, la fille avec les baguettes en l’air qui déplore
infiniment la timidité des Québécois, leur petite mort réalisée devant leurs
écrans, la distance qu’ils feignent d’avoir installés entre leur tête et leur
queue alors qu’un film porno se tourne ou se déroule constamment à l’arrière de
leur crâne, garni ou dégarni, petite musique d’ambiance de leur esprit. I am asleep, but my soul’s awake. I open to my beloved, o daughters of Jerusalem. But my
beloved, he was gone, o sons of David. I call him back, he answers not, o
daughters of Jerusalem. Oui, moi qui se convainc de n’être pas belle,
pas désirable, invisible même, puisque le regard des hommes passe presqu’aussi
vite que celui des chiens et qu’ils ne me disent rien. Oui, moi qui crois que
je suis sans intérêt, que mon corps est une tare, que mes cheveux gris sont un
repoussoir, mes lunettes, un aveu de passe-temps solitaires inquiétants. Ici,
après seulement un mois, je n’en peux plus de me faire rappeler le contraire. Tell him I’m sick with love. C’est donc
pourquoi les Québécois s’emmurent dans leur silence sauf quand l’alcool coule à
flot ou que la poudre s’infiltre dans leur appendice nasal. C’est que ça
écœure. Un, c’est bien. Deux, c’est charmant. Trois, c’est flatteur. Quatre,
cinq, six, dix, vingt, c’est lourd. Ainsi, un se tait et les autres suivent,
parce que si un commence et lance ainsi le signal et que tous suivent, c’est
l’horreur. C’est donc pour moi le retour au conte de fées où la protagoniste a
vraiment besoin d’être délivrée par UN prince de tous les autres truands qui
courent les chemins. Et je me prends à rêver qu’il arrive et me libère de ces
regards, de ces « salam » et de ces « France » de merde,
ces interrogations sur mon mari, mes enfants et même mon orientation sexuelle. Attablée
à une terrasse de Sousse, j’ai pu me départir d’un insistant en regardant
longuement une belle femme, ce qu’il interprété comme une homosexualité pas
latente du tout. Une solution toute faite donc, leur dire que je suis
lesbienne. Il me semble que je suis crédible, tellement crédible que c’est, me
semble-t-il, la raison pour laquelle les Québécois restent froids devant moi.
Tête de lesbienne et mains de castratrice. 100% frustrée comme disait l’autre
se drapant dans son indignation, lui possédant la colère, moi étant dépossédée
par l’hystérie. Non mais, le conte de fées ne fini pas sur les hétéronormatives
paroles ils vécurent heureux et eurent plusieurs enfants. Il repart sans cesse,
propulsé par ces lancinantes paroles, mais je préfère m’en tenir au passage où
le baiser se dépose et la belle s’éveille, non pas d’une inconscience que les
douces lèvres du beau lui enlève, croyance crasse qui perdure même chez
certains universitaires qui pensent devoir offrir leurs sermons ou leurs
interprétations à leurs collègues universitaires qui ne peuvent saisir toute
l’ampleur de ce qu’eux ont compris. J’aime ce passage et ce baise, car la belle
enfin s’éveille du cauchemar de la disponibilité aux autres hommes. Certes, le
prince, s’il ouvre les portes de ce donjon, n’a pas toujours à venir à bout du
dragon, soit les bouches enflammées des autres qui veulent aussi déposer des
baisers. Mais soudain, cet animal fourchu voit l’épée du prince aux côtés de la
belle et se tient à distance. Au pire, sans prince et sans ces baisers, il
faudrait que la belle porte les armes, mais je redoute que même ça ne suffirait
pas clamer les ardeurs de la bête
chtonienne. O my beloved is radiant, all fresh and rudy,
distinguished among ten thousands, his head is the finest gold, his eyes are
like doves besides springs of water. Such is my beloved, such is my friend. His cheeks are like bed of spices yielding up fragrances, his slips are
lilies distilling liquid myrrhe, his arms are golden set with jewels. His
appearance is like Lebanon, choice as the ceders, his speech is most sweet, and
his all together. O this is my lover, this is my friend, this is my beloved.
Les hommes sont là, mais en ces pays où les belles se
font rares ou rarement armées, un prince ne ferait pas de tort.
Puis, hier, le même manège. Or,
cette fois, Galarneau est haut, il est tard et je peux me tourner sur moi-même
dans mon joli petit bikini pendant des heures accompagné d’un prince invisible,
Robert dont les mots me tuent. Je lis ce livre sans crayon, pour faire
changement, et regrette amèrement. Je devrai y revenir, car trop d’envolées
méritent le soulignement, valent d’être soulignées. Hier seulement, repliant la
page pour illustrer ce que j’avance, je retrouve le passage parmi cette
panoplie de phrases toutes aussi extraordinairement tissées : « […]
c’était aussi excitant que lorsqu’un bien-aimé pénètre soudainement de tout son
être si profondément dans la bien-aimée que l’obscurité tombe sur les yeux et
que derrière les rideaux fermé de la peau la lumière s’allume » !!!! Non
mais, on est loin du mongol à batterie qui reste assis des heures durant à ne
regarder qu’une pauvre femme bronzant et lisant. Homme sans qualité, mon cul!
Vous m’en trouver un qui brode des ciselures pareilles et c’est clair que la
lumière va s’allumer et derrière et dessus la peau! Or, je dois le dire, avec
le temps ou depuis le temps que j’ai bambocher dans ces contrées, le désir s’est
déplacé. Autrefois, j’aurais peut-être tenté de tâter de cet hurluberlu, je
l’aurais trouvé beau, juste d’être de ce type. Or, je ne les trouve plus beau.
Rarement. Les plus jolis garçons sur lesquels ont buté mes yeux jusqu’à
s’affaler bien aussi longuement que ceux qui me mangent déjà tout le corps avec
ces ouvertures avaient tous à peine 16 ans. Faut croire que ça se gâte vite. Le
ventre, la calvitie, ces superbes attributs masculins surgissent ici dès la
jeune vingtaine. Ils se marient et vieillissent avant l’heure. Ces bellâtres
sont des donc, qui pourraient être les miens et pour lesquels je ne
rechignerais à parfaire l’éducation, dont un mignon, en particulier, dans une
voiture de louage.
Le teint comme la surface uniforme
d’une crème brûlée, une juvénile barbe bleutée cerclant la pulpe rougeoyante de
ses lèvres cerclant à leur tour le troupeau blanc qui se voit lorsque cette
chair savamment pulpeuse retrousse de rire. La pâleur bleue de ses iris
complète le tableau qu’est ce visage que je ne tuerais point, mais que je
voudrais bien voir mourir en mes bras. Il est délicieux, il pourrait faire
partie de cette catégorie d’intouchables, car ce qu’il a est un don qu’il faut
apprendre à utiliser bien autant que des talents de télékinésie. Or, il est
beau et il le sait et ce savoir le rend imbuvable, infect, même à distance d’un
banc dans cette voiture qui file à toute allure vers le sud. Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, un
sceau sur ton corps, comme l’amour est fort, comme la mort. L’amour est fort
comme la mort. Ainsi, avec le temps ou les expériences peu ou prou
concluantes, la beauté se déplace, se mute et n’est pas qu’à ces primes
éblouissements. Ils sont de courte durée. C’est de la graine de Monsanto, car ça
meurt suivant la première moisson. Éphémère bruissement, c’est aux mots que
perdure le charme, mais ce que j’entends est bien loin de tous les sortilèges
et philtres d’amour rêvés. Allongée sur le sable, je me pâme mille fois devant
l’aphonie tonitruante de Musil, les mots silencieux sur lequel je glisse
éperdue d’amour, affaiblie par sa maîtrise, communion réussie avec la beauté,
fiançailles éternelles, émoi qui ne vieillit pas, mais croit avec l’usage.
Ainsi, totalement vulnérable et prête à me faire chanter la pomme, celui qui osa
hier fait ombrage à cette relation amoureuse que je m’évertue de reprendre pour
sentir une pluralité de frissons. Debout devant moi, il m’accoste avec cet
autre usage déjà pas mal usé. Il faudra faire un effort, mes gaillards, mon
esprit vogue sur un énorme yacht dont le capitaine est peut-être mort, mais qui
me stimule comme nul autre pareil et m’amène, sans détours, dans le plaisir.
Avec toi, avec ton salam et ton France, je ne vais pas loin et sèchement, je le
rabroue. C’est qu’il me dérange, même si j’ai l’air de ne rien faire ainsi
étendue avec un bouquin en main. Pourtant, ce n’est pas un paravent ou un
parasol. C’est aussi bien qu’un billet d’avion et s’il pense que je suis là, c’est
fort dommage, car je ne suis pas là. Je suis à Vienne avec Ulrich et Diotime,
avec Rachel et Soliman et je n’en ai que faire de son sourire tavelé de tâches
de tabac et ses yeux de biche. Il a l’air gentil et comprend vite, au moins.
Mon sourire est celui du mépris et du mécontentement. Il tient toutefois à me
dire que je suis belle. Belle avec mes os sur la peau, mes maigres courbes, mon
corps d’actrice décharnée par les becs et les ongles des hommes, par le yaourt
et la pomme comme déjeuner et par la suite des choses, le cours normal sur
lequel je reviendrai sous peu. J’ajoute qu’il va asseoir ses vingt ans à
quelques mètres et se prélasse dans la même activité que son semblable du jour
d’avant. Il ne regarde pas la mer, il n’observe pas les fourmis ou le vol des
oiseaux, il me toise infiniment. Que voulez-vous, je suis belle. Dans mon
esprit, encore troublé par sa venue, je suis néanmoins habitée par l’écriture
de celui qui rivalisait avec l’auteur de Mort à Venise où je me sens parfois, lorsque
happée par les jeunes adolescents, mais aussi par l’idée que je ne suis pas
belle, mais surtout presque nue, tout simplement, et que ceci suffit à me
remplir de beauté. Non pas qu’entourée de beautés, j’aie été contaminée, c’est
que ma peau est là, sans obstacles, prête au toucher. En lecture et vagues
réflexions, je me retourne et aperçois encore sur la colline le même homme en
beige. À gauche, à droite, ils ne se gênent pas et lisent sur mon épaule une
histoire que je devine, peut-être jaloux du mec qui n’a pas rencontré le succès
de Thomas Mann de son vivant et avec qui je passe le temps, avec qui je passe
dans un autre temps. Puis, je bénis les bactéries tunisiennes, l’Activia, ici
bien plus actif que dans notre grand pays, contient des monstres qui sont tels
parce que d’une espèce méconnaissable. Le monde microscopique me ramène aux
ordres des choses primaires, c’est peut-être le yaourt, c’est peut-être l’eau.
Je en sais ce que je mange et/ou bois qui assure avec régularité mon transit,
le transit de ce qui se la coule douce en mes extrémités. La peau de mes
lèvres, la peau de mon anus, toutes deux sentant mêmement ou presque les
aliments. Calisse, c’est à croire que j’ai un parasite qui me tord, me vide et
me visse sur place quand enfin je trouve la bonne place. Je dois donc rentrer
et fuir ses quatre œil, mauvais ou bons, qui m’arrachent mes restes de
vêtements et m’arracher à ces maux de ventre, trouver la place pour
l’apaisement.
En route, le pâtre noiraud et les
biquettes que je croise dorénavant presque chaque jour et pour qui je fais des
« billibilibilibili » (les biquettes) et qui me fait des
« salam » (le pâtre). Lui et moi avons un chapeau de paille similaire,
les rebords du sien sont plus larges et il l’enfonce sur un bout de tissu
faisant qu’il ne s’envole pas malgré les énormes bourrasques qui charrient des
nuages, longilignes, ventrus, immaculés ou passant au gris parce que remplis
des cours d’eaux occidentaux qui se déversent violemment sur nos têtes quand
l’avant dernier appel à la prière retenti. Mon chapeau vient de Cuba, le sien
de Hergla. Sinon, ce berger que je croise a une vingtaine de ces animaux aux
yeux hagards et niais, aux pattes frêles et aux pelages variés, probablement
comme leur animalité pur ne pas dire personnalité. Certaines de ces aninalités,
pour faire une utile contraction, demandent plus d’attention du chien qui peut,
lorsque, dociles et suivants une aînée qui accoure en direction d’une tache
verte sur le versant d’une colline aux limites de la mer, aller courir en fou sur le sable ou simplement
s’étendre pour bronzer. Or, ce chien doit parfois japper derrière celles
frappées d’un éclair de rébellion, d’esprit individuel et les ramener dans le
troupeau. Parfois, le chien ne remue et le pâtre surgit de sa pause cigarette,
agite son long bâton pour réunir son trésor. Elles bêlent et je les imitent
comme une enfant, le pâtre sourit, il doit me trouver ridicule, lui qui ne
bronche pas et, impavide, leur jette des regards strictement de surveillance.
Pleine de joie dès que je pose les yeux sur le troupeau, oui, je dois
ressembler à une urbaine finie en quête d’exotisme dont la pupille rutile à la
vue de bestiaux qui autrement sont étendus, dépecés, sur l’étal des bouchers.
Il ne peut pas savoir que je lui volerais son travail, presqu’un non-travail,
qu’à l’aube de mes doux seize ans j’hésitais entre le théâtre et la bergerie.
Sincèrement, vingt ans plus tard, je constate avec un certain dépit que ce
n’est ni un ni l’autre et que c’est simultanément tellement l’un et l’autre. Je
demeure fascinée par le peu d’herbe à manger sur les dénivellations
rocailleuses et sèches de la rive. Il en est ainsi aussi un peu plus à
l’intérieur des terres où se tortillent les oliviers qui boivent de peine et de
misère et laissent peu d’opportunité à l’herbe d’une part, de pousser, et
d’autre part, lorsqu’elle y arrive, à devenir grasse et tendre. Les 1000 sacs
plastiques et autres détritus qui tavèlent le paysage et que les chèvres
mettent dans leur bouche, mâchouillent et recrachent, comme les poules, les
chats, les tortues qui vivotent sur tous les recoins de cet étrange village,
brillent au loin quand nous revenons à vive allure de Sousse, pendus aux arbres
tous couchés vers la gauche par la force implacable du vent redondant. Parsemant
les abords de la baie scintillante, ces sacs transparents ressemblent à des
gouttes ou des capteurs de lumière, ils sont partout et pas plus le pâtre que
les mecs qui glandent à longueur et largeur de jour ne pensent à les décrocher
de leur épines, à dé-décorer ces arbres une
fois la fête finie. J’ai aujourd’hui constaté, en marchant dans la médina de
Monastir, que sur les sacs plastiques du Monoprix, dont un jonchait sur le sol,
s’écrit en lettres vertes le message environnemental, disant à peu près :
« multiples usages pour le paysage » ou une formule poétique du reduce and reuse. Outre que les chèvres
broutes autant de plastique que d’herbe, je demeure également fascinée par le
renflement qu’ont certaines d’entre elles au cul. J’ai le mot de cette partie
sur le bout de la langue et remercie le ciel, particulièrement en ce moment,
que les mots et les choses ne soient du même acabits et que je n’ai cette
affaire molle sur la langue. Un cloi-quelque-chose, ma mère me répondrait.
Raide maigre donc par une tout aussi
maigre diète, mais surtout parce que tout ce qui entre ressort fougueusement.
Ma propension scatophile n’est pas restée à Montréal et voici venu le moment de
parler de merde, comme il me plait tant. De manière fulgurante, elle rappelle
la force des mécanismes inhérents de la vie, le monde comme volonté. Ah oui,
tiens parler de Schopenhauer et de ces petites disparitions de soi, de ce qui
fut un phénomène ou chose en soi et qui se fait ici représentation. Non, cette
digression ne se fera pas, je demeure à mes boyaux pour dire qu’ils ne gardent
rien et participent de cette maigreur, faisant que j’ignore qui me moule le
squelette du regard affamé des hommes, des repas espacés ou de ces visites
fréquentes qui m’agitent brutalement, me laissant affaiblie aux bords du bain
après le combat. Que dis-je, il n’y a pas échange de coups, je suis une pauvre
poche sur lequel on frappe ou à l’intérieur de laquelle se démènent avec
l’énergie du désespoir un singe, un chien et un aspic. Ce n’est pas gai et ce
n’est pas solide, comme si je ne pouvais que me liquéfier alors que je me vois
ossifiée. Serait-ce la moelle, la substantifique ? Vide, je pars au village. En
reviens, mange des chips, les premières vraies patates en sac que je trouve,
exportées d’Arabie saoudite et certifiée halal, car les agents de conservation
qu’elles contiennent m’aident à me
conserver et me contenir et les agents de la rectitude religieuse veille
au grain, pas de flocon de pommes de terre, donc, la bonne vieille tranche de
tubercule. C’est, étonnamment, un de ces rares aliments que mon corps semble
reconnaître et avec lequel il accepte de faire corps, justement. La main dans
le sac, je lis le Cantique des cantiques, je vois les biquettes et le pâtre
noiraud, l’amour qui dort encore, les lys et les cyprès, les gâteaux de raisins
et celui qui monte du désert comme en une colonne de fumée vaporisée de myrrhe
et d’encens, de toute poudre d’importation. Ainsi, je me réconcilie avec tous
les garçons. Par l’amour d’un seul, je pourrais oublier les désagréments de ces
désamours d’aujourd’hui et d’antan. Je
cherche celui que j’aime.