Je suis partie à
Tozeur, prendre des vacances de la famille Immem, prendre des vacances de ma
vie qui ne ressemble que trop peu à ce désert connu autrefois en terre
égyptienne et d’où je suis revenue tranquille comme si les bombes n’existaient
pas, comme si mon cœur n’avait pas été morcèlé et éparpillé sur les routes,
mais tout entier dans un seul endroit, non pas loin de moi, mais bien là, au
chaud, dans ma cage thoracique, battant doucement, comme une vieille darbouka
de véritable peau. J’ai hésité plusieurs jours entre la porte du désert, tel
qu’on qualifie Douz, et cet oasis un peu plus à l’ouest. Pensant trouver de
tout et sachant que d’Arabie Saoudite les gens se déplacent jusqu’à cette
grande ville du sud, je prends le train pour six heures, le cœur léger et le
bagage frêle. Mangeant encore des chips, subsistance qui demeure en mon corps,
lisant Jankélévitch sur les vertus que
sont à la fois le courage, la fidélité et l’amour, soit ce à quoi je ne crois
plus, fables pour adolescentes n’ayant pas rencontré le grand méchant loup, je
regarde parfois défiler le paysage. Avec les kilomètres qui s’envolent entre
Sousse et Sfax et ceux qui me restent à parcourir jusqu’à ma destination, tandis
que le wagon devient silencieux, la terre tourne sur son axe et le soleil darde
mollement sur les dunes composants au fur et à mesure le paysage. Dans la
solitude recherchée en ces terres où elle est luxe, même en première classe, je
ne reste pas ainsi, le nez collé à la fenêtre longtemps. Yassin m’aborde, mais
a la décence minimale de rester à distance. Il me parle des attraits
touristiques de la région, de ce qu’il faut absolument faire, dont un tour de
train en bois – un train de bey –, qui traverse la montagne et permet d’admirer
stalagmites et stalactites. Trente euros pour les touristes, mais si j’y vais
avec lui, ça devient gratuit. Il suffit d’aller dans sa ville, de l’appeler et
de passer la journée en sa compagnie. Je reste polie, prend le numéro sans
grande intention de ne pas profiter de ce que je pense encore comme étant la
paix qui m’attend dans une ville où je ne suis que de passage. Erreur
grossière, illusion niaise, il ne me faudra que deux jours à Tozeur pour qu’on
me salue, qu’on me reconnaisse, qu’on m’invite à prendre 1001 cafés. La
première soirée sera calme, outre les regards dévorants lorsque je marche sur
la rue où les hommes chaises correspondent à leur état, les marchands qui
tentent de me héler pour que j’aille admirer leur marchandise, l’homme à la
superette qui s’avère avoir un français impeccable et s’adresse à moi comme à
la femme du président, sinon le président lui-même, rien de notoire. Il y a
aussi une pizza fantasmagorique avec un salami fait de viande d’origine
inconnue dont la couleur est aussi vive que la tombe de Nefertiti et une femme portant
un superbe pantalon qui m’indique où acheter le même, vraiment rien à déclarer.
Sauf peut-être que Tozeur est un endroit spécial avec ses édifices recouverts
de briques de grès et de sable cuites au soleil dont les agencements, parfois
savamment étudiés, ressemblent à de la dentelle. Il y a également les mosquées,
trois ou quatre, qui se voisinent sur un seul pâté, et une circulation routière
passablement endiablée qui n’a toutefois pas a être contrôlée pas des feux ou
des arrêts – chaque carrefour me fait penser a cette vidéo filmée quelque part
en Inde par un touriste tout aussi ébahi que moi devant ce chaos qui ne dérape
pas, mais sinon, rien. Je mange à la pizzeria princesse où je reviendrai tous
les jours et me lierai de cette amitié de voyage avec le serveur, lieu
recommandé par un superbe noir qui appartient à ce groupe se faisant encore
rare ici bien que nous ne soyons pas si loin de cette Afrique de la même
couleur. Quelques jours plus tard, on m’annoncera sans grand malaise qu’à Douz,
entre autres, il y a beaucoup de nègres. Je ne broncherai pas et l’annonceur de
cette nouvelle se reprendra en parlant de noirs, peut-être parce que mon visage
a alors démontré le problème que j’ai ou la reconnaissance du problème que les
‘arabes’ ont avec ces derniers. Il faut dire que Douz fut jadis une plaque
tournante du commerce d’esclaves et que le présent ne révèle que les relents de
ce passé. Je ne suis pas désolée de voir de la soit disant diversité, puisque
dans ce pays, à part quelques touristes européens, la majorité reste dans le
mesure ennuyante de la similitude. Certes, ils sont beaux et elles sont belles,
mais ciel, les asiatiques me manquent, les blancs me manquent, les noirs me
manquent. Je me questionne à savoir pourquoi il y a si peu de mélange sur les
bords de cette mer intérieur où autrefois la circulation battait son plein, alors
que chacun migrait à droite à gauche et multipliait les lexiques. Aujourd’hui,
avec la méfiance, chacun reste chez soi et ne veut pas entendre qu’il n’a pas
sa place. Les histoires de migration sont histoire et rien ou si peu ne
subsiste de ce nomadisme. C’est à croire que même les contacts avec les autres
ne transforment pas les gens, malgré les accents français et les devantures de
magasins annonçant à tous vents les trésors qu’il y a en dedans. En me
réveillant presqu’avec l’aube, bien qu’ayant privilégié une chambre loin de la
rue Habib Bourguiba, trop habituée aux chants des oiseaux dès 4h30, je me
prélasse et réussis à rêver jusqu’à l’heure du petit déjeuner. Je m’arme de
crème solaire et pars à la découverte de la médina, la palmeraie et ce qui
voudra bien se mettre dans mon chemin et l’œil de ma caméra. Mon arabe est plus
confiant, je suis plus confiante, partout où je vais, sentant que mon pouls a
enfin trouver le rythme, a un point tel que je pourrais ne jamais partir ou ne
daignerais pas rester plus d’une année. Je suis enfin ici, les deux pieds bien
plantés dans le moi qui se retrouve lui, faisant des blagues avec les vendeurs,
des boutades niaiseuses a la préposée du bureau d’informations touristiques,
des doigts d’honneur a ceux qui m’agressent et des exclamations sottes
d’extravertie finie. Je me suis même surprise a chanter a l’épicerie, observée
par deux emballeurs bouche bée ou je me suis sentie mal de me sentir trop bien.
Amd’oullah, il fait soleil et je prévois rentrer avant midi pour ne pas me
faire assommer quand le zénith sonnera. À peine 100 mètres de la porte de la
résidence Niffer, on m’accoste, je réponds et sans que je ne le veuille
vraiment, une conversation s’engage. Ce garçon, dont je ne peux toujours pas
prononcer le nom, me fera visiter la médina, me racontera des légendes, me fera
faire des vœux, me fera tirer des roches, m’amènera dans une boutique où des
pantalons, des bijoux et autres babioles se retrouveront sur moi. Ça va, je
sais comment réagir maintenant, je sais quoi répondre sans me sentir obligée de
ne pas refuser leurs requêtes de repartir avec une culpabilité de leur misère,
de l’absence de touristes faisant que je devrai être la touriste de tous et
chacun, même rhabillée en arabe comme il n’en existe plus dans les rues, tout
va bien. Qissem, peut-être est-ce son prénom, est gentil. Il a un gros derrière
et les yeux clairs. Mais c’est parce qu’il est gentil et ne m’a pas complimenté
ou n’a pas commenté quoi que ce soit de moi, outre ce que je fais dans la vie,
que, sans inquiétude, je bois le thé avec lui. C’est ç ce moment qu’il m’offre
un forfait d’une journée complète dans le désert à 140 dinars, 70 euros, 90
piastres. Il me montre des photographies des lieux, déplie ses dépliants avec
diverses destinations et tarifs ou nombre d’heures loin de la ville ou on vous
accueille avec un « Voir Tozeur et revivre ». Je prends des notes et poursuis
ma route jusqu’au bureau d’information touristique où la dame qui me reçoit est
sympathique à souhait, comprend et rit de mes blagues, car tel que mentionne
quelques lignes plus haut, on ne change pas parce qu’on déambule en territoire
étranger. Partout, je retrouve en moi mon père et sa manière de socialiser ç la
légère avec les inconnus et d’être bourrue avec les proches, Partout, je traine
le beau visage de ma mère et ses yeux noirs pétillants, ce que j’affirme après
avoir révéler à différents amants ce visage aimé et disparu qu’ils ont tous ainsi
reconnus sur l’écran de veille de cet outil indispensable à ma survie. Je me
dois toujours d’ajouter cette histoire à propos de sa frustration d’être encore
jolie, de se le faire dire sur son lit d’agonie et de tellement savoir que ça
ne sert a strictement à rien. Aujourd’hui, j’aimerais lui dire qu’être jolie
comme elle me sert en osti en Tunisie, parce qu’ici, contrairement au Québec,
les hommes et même les femmes ont des trous dans la face qui servent à autre
chose qu’à se contempler soi-même et à se raconter des bobards. N’empêche, la
petite dame du bureau touristique me dit tout, m’indique même comment me rendre
à la boutique Gabana pour acheter le sarouel à 20 dinars, m’informe que le
belvédère n’est qu’à 20 minutes de marche et que le prix du voyage proposé au
désert et dans les parages est un prix honnête. Sur la route vers le belvédère
qui s’avère, a posteriori, plutôt décevant, les hommes dans les calèches me
parlent de misère et de l’absence de touristes que je dois donc payer pour tous
les touristes qui n’y sont pas, logique semblable à cette assiette qu’il faut
vider parce que certains meurent de faim comme si notre satiété ou notre
dépense compensait pour leur carence. Bref, je ne peux pas payer chacun pour
leur détresse, étant dans une situation pas plus gaie et préférant, avouons-le,
marcher. Voilà de trop nombreux jours où je ne vais qu’à la plage ou faire des
courses, oisiveté égalant toujours danger. Au belvédère, je suis étonnée du
terrain de golf, affreux soit dit en passant et au sujet duquel on m’informera
plus tard qu’il est arrosé par les eaux usées de la ville faisant que les
moustiques y sont comme des hélicoptères l’été venu, mais surtout du chamelier
qui porte une sacoche Prada et qui me parlera, néanmoins très bien, même en allemand,
tout le temps que j’y serai. Pas une miette de silence disponible à l’orée des
dunes, à la frontière de la palmeraie, je demeure polie une fois de plus, mais
je demeure ouverte puisqu’il me parle de salafistes, d’Allemagne et des effets
de la révolution. Comme si c’était un discours qu’on ne m’avait pas encore
servi, j’écoute. C’est un vieux berbère qui me rappelle Salam, le guide qui
m’amena dans le désert du Sinaï pendant trois jours, avec le même nombre de
dents dans la bouche, le même cuir aux joues, des mains cuites et des vêtements
climatisés pour ce climat plutôt hostile à la vie. J’ai d’ailleurs les
pantalons achetés à ce désert, ayant cru bon de devoir me vêtir pour
l’occasion. Ce sera la dernière occasion. Mais je ne peux brûler les étapes…
Je me rends ensuite au zoo, à des
lieux de cette zone touristique où certains ont cru bon de devoir sculpter la
face du célèbre poète de la place dans la montagne et ou les amoureux vont
s’embrasser en secret. Sur le chemin, on me suivra, on m’offrira de m’y
conduire en moto, de m’y accompagner à pied, on m’informera que j’en ai pour
longtemps, je m’arrêterai acheter de l’humus, oui des pois chiches, et quelque
chose de fria. Le soleil plombe et ne m’empêche pas de comprendre la façon dont
on divise l’espace donnant accès aux palmiers dattiers, ce qui pousse ici en
abondance, de voir comment les propriétaires de parcelles démontrent leur
propriété avec des portes somptueuses faites de bois et des clôtures de palme,
mais à l’horizon, pas un brin d’ombre. On m’a eu. Toutes ces paroles échangées –
le guide dans la Médina, le chamelier et je ne sais plus qui ayant pu me
prendre un trente secondes par ci, une minute par-là –, m’ont mené jusqu’à midi
et je cuis, je sus, je ne me peux plus même ayant mangé. Je vais m’écrouler et
mourir seule asséchée dans une palmeraie aux portes barrées, dans le petit
chemin de terre poussiéreuse ou de moins en moins d’âmes qui vivent se montrent
à mesure que je m’enfonce en bordure de ces parasols qui produisent des pierres
précieuses se cueillant en octobre, J’adresse la parole à des enfants, à des
personnes âgées, je ne me gêne même plus pour avoir l’air perdue, car me taire
n’y changerait rien. Tous me voient et voient, malgré le teint tunisien, que je
ne suis pas une locale. Comme à Séville, à cette heure, il n’y a que les chiens
et les touristes qui sortent. Le guichetier au zoo reconnaît mon accent et n’oublie
pas de souligner ma beauté. Je commence à être immunisée ou c’est comme une
suite logique du genre : salam aleikoum, ça va, labess, amdoulah! J’assisterai
à l’intérieur de ce lieu partiellement ombragé au spectacle du dromadaire qui
boit de l’eau gazeuse, du scorpion dans la boite de cigarette sous les yeux
ébahis d’Allemands qui semblent aussi cons que la lune. Le mec qui fait les
tours me raconte qu’il ira travailler au zoo de Granby avec les animaux du
désert, soit ceux qui se trouvent ici. Des singes, des hérissons, des fennecs,
des fauves, des reptiles de différents genres et des volatiles imbéciles, dont
l’autruche qui semble en être la reine. J’assisterai au moment nuptial de deux
paons qui se la jouent et finiront bien par se pendre l’un à l’autre, tandis
que je n’aurai pas la patience d’attendre, mais surtout parce que j’ai le
soleil qui fait fondre ma casquette et tout ce qu’il y a en dessous. Dans le
sud de la Tunisie, il est plutôt difficile d’oublier l’amant ardent. N’empêche,
le refuge est un jardin bien nommé le paradis où les eucalyptus folâtrent avec
le palmier, où des amoureux se bécotent entre les feuillages offrant un répit
de cette présence dorénavant surprésence et qui annonce le préfixe sur pour
presque tous les mots qui vont suivre, mais que je ne daignerai pas l’ajouter
pour alléger la lecture comme on allège l’affaire en masculinisant allégrement
un texte. Alléger, mon œil, mais comme c’est ainsi, parfois, il suffit de
lâcher prise pour que la légèreté se manifeste. À la buvette, attendant le
retour d’un cocher, morte par tant de rayons,
je sympathise avec le tenancier qui sera un de ces garçons me saluant de
l’intérieur d’une camionnette le lendemain lorsque je serai attablée chez la
princesse à me faire conter fleurette par le serveur de qui je n’accepte pas
l’invitation à un café. Ça s’en vient, mais je deviendrai une star à Tozeur,
tous reconnaissant la canadienne et enviant mon petit ami que ça irrite au plus
haut point. Il est jaloux, mais il n’existe pas encore tandis que nous parlons
faune et flore, de New York, de Montréal, de Granby et enfin, du cheval qui bat
la poussière et me ramènera en ville. Je retournerai voir le garçon m’ayant
offert la journée à 100 balles et achèterai la journée à 100 balles. Demain,
Ali viendra me chercher à la porte de l’hôtel et nous partirons pour le désert
et les oasis de montagne. J’essaierai de faire la sieste, irai à Gamara et
découvrirai un quartier mal famé où pas un étranger ne se perd. J’y fais la
rencontre d’un ancien enseignant de français qui sent l’alcool et à qui je
demande à quand remonte sa dernière bière. Ce Kamel est bien et veut me montrer
des choses que je ne remarque supposément pas, je le suis, mais je constate
rapidement qu’il ne comprend pas ce que je vois que lui ne voit plus, vieux mec
de Tozeur. Or, il m’amène aux rivières où les riches habitent parce qu’il y
faut plus frais, me raconte des bobards pas possible et comme avec Anouar je
deviens une partie de la famille, je suis comme sa fille et il va me marier à
un de ses garçons, celui de 19 ou de 23 ans, peu importe. Je le suis jusque
dans un jardin où il se met à boire du jus de palme qui saoule et goute le cul,
me fume des cigarettes, me prend mon briquet, mon stylo et m’invite manger le couscous avec sa smala. Je ne dis
pas non. Je dis peu non. Je sais dorénavant me débrouiller. Il m’offrira
d’acheter de la bière et qu’il m’accompagne si j’ai peur, mais je dois lui
acheter de l’alcool parce qu’il n’a pas un rond. Ça va, je peux très bien vivre
sans Celtia. Nous irons chez lui, il me présentera sa petite de cinq ans, sa
femme, éblouissante de beauté et de jeunesse à 47 ans, son fils de 19 ans que
je DOIS marier et ramener au Canada, alors qu’il ne souffle pas un bonjour,
comment ça va. Refusant d’emblée, croyant encore à l’amour, mais surtout à la
communion des esprits, je m’aperçois que toute la conversation ne tourne
qu’autour de ceci et que j’ai bien peu de marge de manœuvre. Puis, après
m’avoir offert une bague, tiens donc, voilà que je dois lui donner six dinars
pour le repas. Merci mon Dieu, je n’ai plus un rond et lui montre le contenu de
la poche magique en m’excusant et lui explique mon malaise, grandissant à
mesure qu’il insiste. Je pars, je m’excuse, mais je ne pensais que ça devait se
passer ainsi. Je reste sa fille et pour moi, tout ceci reste de la belle merde.
Fieffé coquin. Je comprends que tes fils aient honte de toi. Je n’ai pas honte de mon père, bien que j’en
sois parfois gênée, mais mon père est digne et fier et ne me vendra au premier
quidam venu qu’il imagine riche. Affamée, je cours chez Amira Pizzeria et un
jeune au sourire lumineux m’invite à un café. Surprise? Ce n’est pas le
premier, mais ce l’est qui me suit et me dit que je suis TROP belle. Je demande
à mon serveur de me sauver de cet enfant trop insistant à qui j’ai dit non pour
tous les autres, à qui j’ai dit oui, presque à regret. Il partira, je mangerai
mon chawarma et assise dans le parc face à l’hôtel avant de rentrer, il
apparaît, tout sourire encore, puisque c’est sa principale caractéristique. Talel
Saadi ira acheter un thé, me racontera ses neufs mois en Europe, me dira sevi
seniorum, Monastiraki, Sidi bou Said et ne m’ennuyant pas, je laisse faire, il
est totalement ouvert, généreux. Il m’invite sur sa Vespa et soudainement, je
ne dis plus non. Ça durera des heures et je découvrirai tous les grands hôtels
de Tozeur, dont la majorité sont fermés depuis le révolution faute de
visiteurs, merci les salafistes. On m’offrira des gâteaux qui sécheront si je
ne les mange, des fleurs de jasmins des roses. Ma sacoche regorge d’odeurs
enivrantes et toute la palmeraie ensuite n’aura plus de secrets, havre de fraicheur
où la ville sort fumer la chicha, jouer aux dames, boire de la bière. Il y a
des bars à tous les coins de palmiers, des complexes avec piscines, expositions,
musiciens, c’est une tournée extraordinaire et je suis reconnaissante de voir
l’envers de cette cité. Il m’amènera chez sa mère, son père étant décédé l’an dernier,
en novembre, et ce sera la plus grande maison qu’il me sera permis de voir,
sans cour intérieur, mais avec deux étages et des tableaux sur les murs, du
velours rouge sur les sofas, des ipods qui trainent partout, des caméras, des
ordinateurs. À première vue, je dirais qu’ils sont riches et que la mère est
belle. Nous irons sous l’antenne du wifi gratuit ou il me présentera le reste
de sa famille, en Italie et en Belgique via Facebook et Skype. Puis, j’insisterai
pour rentrer, tenant à peine sur mes deux fesses et sachant que demain
m’attend. Le Ipod sur les oreilles, le portable dans un sac, la fille à
l’arrière, le bonheur à tous vents, les polices qu’on salue et qui ne nous
arrêtent pas passant l’arrêt, sans casque, les orteils à l’air, on peut rouler
à contre courant et faire n’importe quoi. Or, le n’importe quoi, parfois,
devient bel et bien cela. À environ cinq mètres de la porte de la résidence
Niffer, Talel traverse la rue pour entrer dans celle où se trouve le portail. J’entends
un klaxon ridicule, je vois une moto arriver et espère de tout mon cœur pendant
une fraction de seconde, l’autre, une moto nous percute et une autre fraction
plus tard, j’ai ouvert les yeux, je me relève à toute vitesse, craignant que
des voitures ne nous fracassent davantage et constate les dégâts. Je suis
vivante, c’est déjà ça. Je suis sur mes deux jambes, c’est aussi une bonne
affaire. Je sens néanmoins du sang sur mes cuisses et mon pied droit brûle. La
chaussure qui y était est à un autre carrefour et je crie comme une
folle : I want my shoe, I want my fucking shoe, pendant que tous les homme
attroupés, une bonne trentaine, me demandent, ça va madame. L’accident est
arrivé et Talel est aux abois, j’ai les yeux qui lancent des missiles scud, je
ne veux plus personne dans ma bulle. C’est que je suis en colère. Sauvée d’une
possible mort, ne sachant comment réagir, en plein choc, les culottes en
lambeaux au milieu de la rue dans une ville où bien habillée une femme se fait
dévisagée, je suis lovée par la peur qui ne me lâche pas, par l’ébahissement
d’être là, presqu’aussi intacte qu’après un accident de vélo. Les Vespas sont
en miettes sur la chaussée, les deux mecs sont en parfaite forme, mais on
m’amènera à l’hôpital – je suis la seule qui saigne –, toujours aussi fâchée
dans la voiture et bien que j’ai répété une bonne dizaine de fois, I’m fine. Je
ne sais pourquoi, mon français a fuit sur le pavé, je parle anglais et là,
sérieusement, pour la solitude, c’est pire qu’avant ou c’est réussi selon
l’objectif visé. Si Talel, dans sa tournée de la ville a voulu me montrer
l’hôpital, la visite n’a su tarder malgré mon refus passé. Or, pour comprendre
l’état de la Tunisie, peut-être faut-il faire ce détour, une Française venant
ici depuis douze ans au moins dix fois par année me l’a confirmé. Il faut voir
leurs hôpitaux…
Nous sommes
entrés comme dans une auberge espagnole, quelques personnes autour d’un bureau
fumaient des cigarettes en parlant, nom, prénom. Date de naissance, voilà ce
qu’on demande. Ai-je des douleurs au haut du corps? Non. Que des coupures
par-ci par-là. Talel tente d’être attentionné, mais je bous, je lui en veux de
sa désinvolture qui me dérangeait si peu avant cette peur bleue. L’infirmier a
l’air d’un croque-mort, il me tâte le pied, mets de l’alcool, du mercurochrome,
un pansement. Merci, bonsoir. Pas un mot. Talel me raccompagne en taxi et je
constate dans ma chambre les autres égratignures sur mes cuisses, le sang sur
le coton égyptien, la ruine de ces pantalons qui auront vécu en paix de l’an
2000 à maintenant, à ce retour au désert. Comme si le reg n’aimait pas l’erg et
ne me permettait de ne pas suer toute mon eau le lendemain. Je m’inquiète de ma
virée dans le sable, j’ai mal à marcher, je me sens vulnérable avec ce pied
blanc au vu et au su de tous. Je ne peux plus courir et me sauver des malotrus.
Merde. Mais vivante, sans membres cassés, j’y crois à peine et devrai fumer
pour me calmer, me regarder entre les deux yeux dans le miroir comme je n’aime
pas faire et me parler. Là, me zyeutant, la cigarette au bec, tentant d’être
reconnaissante, de redevenir croyante, une fois de plus. Demain est un autre
jour, mais je crains ma propension aux infections et à la claudication, ce pied
déjà massacré par un tesson de bouteille qui devint deux fois plus gros que le
normal, m’empêchant de mettre mes botes d’hiver, alors que le mal avait eu lieu
en septembre, juste avant l’anniversaire de mon frère. Qu’adviendra-t-il de ce pied? Que sera ma
visite avec Ali à Chebika, Midès, Tamerza et Nefta? Quelle est cette journée folle comme il y a
des années que je n’en ai vécu, une simple affaire de 15 heures dans une seule
ville ? Un rêve, un tableau de Chiriquo, un cadavre exquis. Toute la crédentité
du monde ne me suffit pas à croire que je suis encore là, n’ayant perdu que
quelques dinars, un pantalon et des bouts de peau. Je crains de ne pouvoir
marcher le lendemain, mais il ne me reste qu’à m’assoupir, moi qui étais prête
sombrer sous l’antenne qui permet de surfer gratuitement, moi qui pourrais alors
écrire un roman, adrénalinisée jusqu’au cou. Du sommet du crâne au cou. Mon
corps vacille, mon pied est présent, mon entre-jambe suppure de la marque du
siège éclaté en morceau, plastoche de mes deux qui n’a pas résisté à l’impact
et m’a pincé profondément. Il n’y aura pas de rêve, ces derniers ayant été
épuisé diurnement et le réveil sonnera après que j’eu émergé de cette nuit
étrange et trop courte.
Le désert et
mon guide
Le petit matin, soit la grasse
matinée dorénavant pour moi, m’a sorti du lit vers sept heure et je me dirige
tant bien que mal vers la cuisine pour prendre mon petit déjeuner. Le
responsable d’icelle me salue et constate mon pied bandé et s’exclame :
‘c’était vous!’. Il a vu par la fenêtre de la résidence l’accident, avait
remarqué la femme portant une casquette, mais sans faire de lien entre
l’étrangère gitant chez eux et cette pauvre conne se relevant prestement de la
chaussée malgré l’impact. Je mange et comme le temps ne passe pas comme
d’habitude, je me dirige à la boutique où je trouverai mon vendeur de forfait
voyage dans le désert. Je descends la rue tranquillement, m’appuyant
délicatement sur ma blessure pour ne pas m’abîmer davantage et y arrive, encore,
tant bien que mal. Bien accueillie, il m’informe que je devrai attendre un peu
puisque je n’avais pas confirmé dans la soirée et qu’il doit appeler Ali et
l’en informer. Il ira me chercher le thé et me fera attendre sur une chaise à
l’ombre d’où je vois défiler des gens faisant de la musique dans la boite d’un
pick-up ouvrant un cortège pour un mariage. Dans les voitures et camions qui
suivent ce système de son à ciel ouvert, tout le trousseau est en fière
démonstration et ça klaxonne allégrement. C’est un homme étendu sur une natte,
près de moi, qui m’annonce l’événement heureux. Effectivement, si c’est une
union d’amour, ça ne peut être qu’extraordinaire surtout ici où avant même que
ne sonne neuf heure, il fait déjà 32 degré Celsius, où les costumes traditionnels
sont affriolants et élaborés, où les hommes et les femmes savent se faire si
beaux quand ils y mettent du leur. Je le sais bien maintenant que je me sens
happée par tant de visages que je prendrai dans mes mains, que je caresserai de
mes lèvres ou mes cheveux. La beauté ici ne finit jamais ou parfois à des âges
fort avancés. Et encore, même la mère d’Anouar avec ses trois dents, ses rides
profondes et sa maigreur à faire peur à la beauté collée au front, dans le fond
des iris. On m’a expliqué que c’est parce que certaines personnes ont le cœur
blanc et que la lumière qui s’y love irradie par tous les trous du corps. Puis, après plusieurs minutes d’attente, le
4X4 arrive et en sort un énergumène à turban comme je n’en ai jamais vu.
J’indique à Qissem avec mon index l’allure du mec avec un mouvement de haut en
bas. J’ai le sourire aux lèvres et envie de rire, mais ma foi, c’est un
chevalier du désert. Il porte les classiques sarouel dont la fourche descend
aux chevilles pour l’aération, mais elles sont noires et beiges avec trois
croix du su brodés en jaunes sur les côtés. La chemise est semblable et il a un
turban gros comme une assiette de couscous. Parle-t-il bien le français,
demandais-je me dirigeant vers la voiture, pensant avoir à faire à un ermite
qui habite ses chèvres ou je en sais quoi.
Il est jeune, a l’air un peu bête, me serre la main en me disant son nom
et mon le mien et on monte dans la voiture. Il arrêtera acheter de l’eau
fraiche et nous voilà sur la route pour sortir de Tozeur. Il ne me parle pas,
je ne lui parle pas. Ça me change. Je profite de ce moment de répit, absorber
par ce que je vois dehors découvrant que l’Atlas, niaiseuse, va du Maroc à la
Lybie et donc que tous les escarpements de la Tunisie font partie de cette chaine
de montagne. C’est la seule chose qu’il m’ait dite sur 40 kilomètres. Ah non,
il me montre aussi les mirages qui s’avèrent de grandes plaques miroitantes ressemblant à
des lacs, mais qui ne sont que réflexion solaire. Un mirage n’est que ça, rien
d’autre, pas de palmiers aux côtés de fille toute nue ou de génie sortant de la
lampe frotté comme le sperme après de ces vigoureux mouvements. Voilà, il
fallait que je parle de sexe, puisqu’il me semble que mes billets sont bien
secs. N’empêche, on roule sans mots dire, outre le : tu as une caméra?
Mais oui. Tu sais où on va? Mais non. Je me sens superbement conne, incapable
d’emmagasinée de l’information et il finira par me questionner sur mon accident
que je résume rapidement. Je bombarde la rougeur des pierres encerclées d’une
buée vive faisant des spectres avec les arbres. Les irrégularités sur le
versant coulant vers l’Est, soit celles que j’ai en pleine face, sont
majestueuses et els grains semblent doux de loin, S’approchant, la roche va
devenir âpre et grosse de rugosité invitant moins, du moins de la main mais pas
moins du pied, que j’ai bien chambranlant.
À quelques mètres de Chebika, il arrête, m’invite à prendre des photos
hors de la voiture, me prends en photo et m’annonce que d’habitude, il laisse les
touristes monter seuls, mais qu’il viendra avec moi pour que je puisse profiter
de ma virée. Je boite et il me prend par la main. On ne se parle toujours que
bien peu, tellement peu que je ne me souviens pas ce qu’il me raconte. À tant
de kilomètres l’Algérie, il vient de Tlemcen, sa mère est algérienne, il est
donc kif-kif berbère touareg est pas mal fier derrière ses verres fumés. Il n’a
pas de regard et peu de paroles, bien que son français soit impeccable quand il
l’emploie. La petite randonnée faite, il m’achète à boire et ma main toujours
dans sa main, il me ramène à la voiture d’ou nous partons pour Midès. Il se met
à me raconter des histoires de touristes qui ont voyagé avec lui, ce qu’Il fait
dans la vie, avec des blagues pas drôles au passage. Il est raide comme une
barre, tout retenu comme je n’ai jamais vu, mais ose mettre son index sur mon
tatou et dire que c’est joli. Nous parlerons tatou quelques minutes et ce sera
le retour au silence ou devrais-je dire à l’audition de la musique qui joue depuis
que j’ai mis mon cul sur le siège du passager. Bigarrée, inattendue, parfois
méga pop, parfois bien techno, parfois simplement traditionnelle. Je pourrais
dire un bon mix, mais il avance une tune sur deux et j’aurais envie de lui dire
que c’est peut-être plus pour moi que pour lui, donc de laisser faire. Nous n’irons pas à Midès ou seulement sur le
chemin du retour. Nous roulons jusqu’à Tamerwa ou une splendeur m’attend, soit
une cascade d’une limpidité battant celle précédemment vue et qui n’était pas
éclairé par la même heure et n’offrant pas des leurs aussi paradisiaques.
Bounty, un petit coin de paradis. Si je n’avais le pied bandé, je pourrais en
profiter m’indique-t-il, les touristes aimant bien s’y baigner. D’ailleurs, il
y a des gamins qui s’y amusent avec la radio sur les cailloux qui jouent et les
chèches multicolores qui battent dans la brise pas fraiche pour cinq cennes. À
chaque arrêt, il sort une cigarette de sa poche, mais pas de paquet. À Tamerza,
il retire ses lunettes et je meurs. Après m’avoir joué ce tour, il me plante là avec ma caméra et le présent et
part discuter avec un ami. Je ne vois même plus le paysage, je ne peux même
plus voir l’exception dans laquelle je me trouve, pas d’avoir passé deux heures
assise à côtés d’un si beau gars, celle qui s’accroche aux rochers et aux eaux,
au décor pour lequel j’ai payé et pas les beaux yeux de Ali Saadi. C’est Gael
Garcia Bernal avec un turban et un accent fort charmant. Je suis là, dans le
creux d’une cuve naturelle, dans un oasis au cœur du désert tunisien et je
viens de perdre la carte. Je me mord les lèvres et me murmure répétitivement
« criss qu’y’est beau ». Je tourne en rond, marche à gauche, à
droite, comme une fille saoule qui titube, parfaitement éblouie par tant de
beauté. Je ne suis même pas capable de le rejoindre, ça me fait peur et ça me
fait presque mal. Mais un moment donné, le niaisage, c’est assez et après la
descente de cerveau au niveau du bassin, il remonte et je me dirige vers lui.
Je crains de ne plus le regarder de la façon que j’avais auparavant de ne pas
le regarder, je ne veux surtout pas qu’il réalise qu’il y a eu modification que
je me pourrais expliquer s’il avait à me questionner. L’autre ami me montrera
la couleuvre du désert, le scorpion dans leurs boites, vivants et de la teinte
du sable et Ali m’invite à me choisir un chèche puisqu’on part au désert.
Vieille Touareg finie qui connaît ça comme le fond de sa poche, le bleu sied si
bien à ma tête avec l’enseignement dispensé et le sourire de l’autre qui m’affirme
que c’est un cadeau. Shokran. Est-ce que j’ai faim? Non. On retourne
dégringoler les hauts et remonter les falaises et je retiens mon souffle quand
la vue est trop large, trop grande, trop toute. Je pourrais photographier sans
cesse, soit peut-être filmer, en sachant pertinemment que ça ne rendra jamais
le sentiment d’immensité, l’impression, les dimensions ou la profondeur de la
vallée et ces odeurs que je savoure et qui vont me manquer. Oui, le parfum du
sable et de la chaleur sèche qu’avant midi entre par les fenêtres rabaissées,
car la vitesse à laquelle avance son cheval blanc permet de ne pas cuire
littéralement. Nous fermerons toutefois le caisson, mais après Midès ou la
fente se montre à l’air et je ne pense pas alors à la mienne, ni même à son
renflement, mais au moment de pianoter sur ce nouveau clavier externe, oui. Je
ne suis pas certaine d’apprécier à sa juste valeur le lieu, je fais du calcul
mental et trouve que le gaz est pas mal cher et que ce mec a un tarif de malade
mental pour ce qu’il fait. Or,
contrairement à ce que Qissem avait avancé, il m’abreuve, free. 3 dinars de
retour sur mon investissement de fille qui voyage seule et pour qui tout est
donc franchement plus cher. J’ai néanmoins le chauffeur pour moi toute seule.
Il faudrait bien que l’on finisse par avoir une conversation décente ou
d’adulte. C’est le désert, l’éternel, le refuge ultime, l’inestimable danger
qui pourtant est saturé d’une vie grouillante, mais échappant à nos yeux
fatigués de stimulus publicitaires, d’écrans, de chiffres et de lettres. Là,
c’est l’absolu repos, l’intranquilité chassée à grands coups de pieds dans le
derrière, à grandes gifles sur la gueule, le beigne en pleine face qui tue tous
les papillons noirs, même quand la nuit tombe, car le rideau est troué et la
lumière fuse de toutes parts. Je suis
d’or, moi aussi, animal qui rejoint ce qui l’entoure uniquement là, trouvant le
sein et le tétant à plus soif. Je vois
des mirages partout, des colonnes de poussières tumultueuses qui tournoient,
s’élèvent follement, seule à quitter la terre. Des buissons salés parsèment ce
tapis imitant l’astre, des trois ou des fosses qui s’enfoncent et boivent on ne
sait quelle eau, l’autre chose formant trouée en symétrie à ce qu’on voit la
nuit. J’ai la tête sortie de la voiture, je ne regarde que ce dehors immense,
le beau Ali conduit le char et c’est tout. J’ai oublié sa beauté, mais parfois
sa voix surgit dans le vent qui courre, solitaire et libre, heureusement. Je
suis heureuse, je rayonne, je lance des flammes, je suis extasiée et ma face
est une banane pelée, aussi indécente, aussi impossible à imaginer quand je
suis visiter par les ombres de mes propres profondeurs. Là, la mort s’est tue
ou m’a dit que tout était bien, que tout semblait être elle, mais que justement,
nos yeux fatigués ne voyait pas qu’en elle, malgré els leçons des grandes
religions, se trouvaient tant de vie. Dans le désert, dans la voiture de Ali
qui vole presque au dessus de la piste qui craque néanmoins au passage de ce
poids lourd, je me suis souvenu que la mort m’était pas la fin de tout. Nous
étions le 13 juin. Neuf mois plus tard, neuf mois après que ma mère ait fermé
ses yeux noirs étincelants pour l’éternité, qu’elle expira quelques minutes
après que nous l’ayons quittés, seule avec son amoureux, seule face à cette
traversée qui ne requiert pas de savoir nager, car le Styx n’est probablement qu’un mirage. Neuf mois pour
mettre au monde un nouveau monde et y arriver plus sereine, plus réconciliée
avec la colère de cette injustice, que l’heure de ma mère ait sonné avant celle
de tant d’autres qui ne m’aurait pas fait mal, qui ne m’aurait rien enlever.
Accouchant de cette réalité dans les cris et les larmes, l’enfant n’est pas de
chair, mais dans mes bras, dorénavant repose une vie autre et quelques jours
plus tard, je me surprends encore à ne pas être visitée par l’angoisse lorsque
le drame frappe à la porte. Le désert m’ayant fait vivre un anniversaire sans
trop de tristesse, une fête pour ma mère qui aurait été contente de me savoir
cavalant sur ce territoire, dans cette merveille, le cœur rempli d’elle, le
cœur aimant à son image le cœur reconnaissant, tant de vivre ceci que d’avoir
l’impression de le revivre, de m’y reconnaître, de m’y retrouver comme à la
maison, la maison, le domaine des mères, le royaume ou les enfants portent la
couronne et que portait fièrement en ce 13 juin 2013. Reconnaissant donc une
route qui n’en une que parce que les voitures y circulent parfois, un chemin
que seuls les habitués peuvent savoir pour mener à destination. Nous allons sur un site du tournage de la
Guerre des étoiles, le retour du Jedi pour être plus précise et sincèrement, je
m’en fous royalement. Pour une rare fois, le voyage m’importe bel et bien plus
que d’arriver à ce lieu. ‘ais avant ce
sera le passage par les dunes, le grand huit ou Ali me fait crier, me fait
m’agripper à sa manche, tandis qu’il rit de plus belle à chaque sursaut
supplémentaire. Il est pied nu, les sandales berbères dans le fond du char.
Nous sommes seuls au monde, outre deux berbères qui gardent une toilette
ridicule et quelques tables ou ils vendent des bijoux et autres cossins du même
acabits. On gravit la montagne, main dans la main, on redescend la montagne,
mains dans la main. Je tombe amoureuse du bébé fennec que je cajole, ravie,
pendant que le jeune berbère prend des photos, de bonnes photos, enfin. Oh, le
bébé fennec! Je suppure de jeune fille qui fait des ah et des oh, je suis toute
molle et je ne m’en cache pas, je fais
’enfant de 10 ans et ça ne me gêne pas. Je suis tellement contente! Et il y eut
la cigarette fumée à l’ombre, calmement, alors que je lui raconte le mythe
d’Icare, que le premier miracle d’Issa fut de changer l’eau en vin lors des
noces de Cana, que je vais réécouter la Guerre des Étoiles en rentrant pour
revoir les lieux. On parle du silence qui n’existe qu’au désert et me dit qu’il
a vu mon amour pour icelui et me parle
de revenir pour aller à Douz, Ksar Guilane, Matmata et tous les oasis qui se
trouvent entre la frontière algérienne et lybienne. Je lui dis que je voudrais bien venir pendant
le festival et il parle des deux qu’il y a en décembre, l’un suivant l’autre et
étant couru par tous les arabes du monde et qu’ensuite, c’est son anniversaire.
Il me donne sa carte d’affaire faite par des touristes australiens qui lui ont
même fait un site internet pour el remercier, que dis-je, il me tend trois
cartes et je lui parle de Talel Saadi. Son cousin ou plutôt, le fils d’un de
ses oncles. C’était sa vespa. Il rit. Il rit encore et je ris aussi que le monde
soit ainsi petit. Il faut dire que Tozeur, une grande ville comparativement à
Hergla, n’est qu’un petit hameau rempli d’alcooliques ou, pour le dire
autrement, ou il y a plus de buvettes que de bibliothèques. C’est déjà le retour et ça me contrarie un
peu que ce soit si court, lui ayant su me vendre l’affaire pour que j’ai envie
de continuer comme ça pendant des jours sinon des mois. Il me raconte toutes sortes d’histoires, avec
des japonais, des brésiliens, des anglais et on passe d’une langue à l’autre
sans vraiment Men rendre compte. Ça me plait étant donné que l’anglais me
manque et que son accent me rappelle celui des Égyptiens. Arrêt à Nefta dans un hôtel avec vue
panoramique sur le cratère et ou on boit une bière exactement au moment de
l’apéro chez nous. Je parle politique, il parle du Maroc, je parle de ma méharée
au Sinaï, il parle de mon prochain voyage en Tunisie et de ce qu’on fera. Je le trouve un peu crinqué, mais il est
tellement professionnel depuis la matinée, ni froid ni chaud, tiède comme un
occidental qui fait son boulot, réservé et ouvert, divers et complexe comme la
musique qu’il écoute, mature en fait devrais-je dire, sensé et avec l’air
profondément méditatif. Il est beau à faire pâmer toutes les filles et certains
garçons et a un charme certain de gars calme et intelligent. Ses trente-huit
ans lui vont très bien et c’est très bien de rencontrer un gars de son âge qui
donne l’impression qu’il a justement le même âge. Bref, il me plait et ne s’est
pas comporté comme un malotru, ce gars arrête pas de faire des points au fur et
à mesure que je passe le temps en sa compagnie faisant en sorte qu’au moment ou
il m’invitera à aller prendre boire de la bière dans le désert en soirée, je ne
réfléchirais pas et tout mon corps, peut-être même jointe à mon âme, va dire
oui. Il ira m’acheter deux kilos de dattes, prendra sa douche et fera nille
courses avant de me repêcher deux heures plus tard, après une courte
restauration, une tentative ratée de sieste et une fausse douche, toujours en
raison de mon satané pied. Vous l’aviez oublié, pas moi. Il élance et me
rappelle que je ne suis pas si agile que deux jours plus tôt, mais je ne refuse
rien., je ne me refuse rien. C’est la leçon de ce 13 juin. Des mots très forts
que ma mère dits à un micro lors du quarante-cinquième anniversaire de mariage
furent de ne jamais oublier que nous sommes aimés et de profiter, savourer la
vie. Je ne l’oublie pas, je ne l’oublierai, j’ose espérer, jamais.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire