vendredi 5 juillet 2013

Au sud, le surrealisme



Je suis partie à Tozeur, prendre des vacances de la famille Immem, prendre des vacances de ma vie qui ne ressemble que trop peu à ce désert connu autrefois en terre égyptienne et d’où je suis revenue tranquille comme si les bombes n’existaient pas, comme si mon cœur n’avait pas été morcèlé et éparpillé sur les routes, mais tout entier dans un seul endroit, non pas loin de moi, mais bien là, au chaud, dans ma cage thoracique, battant doucement, comme une vieille darbouka de véritable peau. J’ai hésité plusieurs jours entre la porte du désert, tel qu’on qualifie Douz, et cet oasis un peu plus à l’ouest. Pensant trouver de tout et sachant que d’Arabie Saoudite les gens se déplacent jusqu’à cette grande ville du sud, je prends le train pour six heures, le cœur léger et le bagage frêle. Mangeant encore des chips, subsistance qui demeure en mon corps, lisant Jankélévitch sur les vertus  que sont à la fois le courage, la fidélité et l’amour, soit ce à quoi je ne crois plus, fables pour adolescentes n’ayant pas rencontré le grand méchant loup, je regarde parfois défiler le paysage. Avec les kilomètres qui s’envolent entre Sousse et Sfax et ceux qui me restent à parcourir jusqu’à ma destination, tandis que le wagon devient silencieux, la terre tourne sur son axe et le soleil darde mollement sur les dunes composants au fur et à mesure le paysage. Dans la solitude recherchée en ces terres où elle est luxe, même en première classe, je ne reste pas ainsi, le nez collé à la fenêtre longtemps. Yassin m’aborde, mais a la décence minimale de rester à distance. Il me parle des attraits touristiques de la région, de ce qu’il faut absolument faire, dont un tour de train en bois – un train de bey –, qui traverse la montagne et permet d’admirer stalagmites et stalactites. Trente euros pour les touristes, mais si j’y vais avec lui, ça devient gratuit. Il suffit d’aller dans sa ville, de l’appeler et de passer la journée en sa compagnie. Je reste polie, prend le numéro sans grande intention de ne pas profiter de ce que je pense encore comme étant la paix qui m’attend dans une ville où je ne suis que de passage. Erreur grossière, illusion niaise, il ne me faudra que deux jours à Tozeur pour qu’on me salue, qu’on me reconnaisse, qu’on m’invite à prendre 1001 cafés. La première soirée sera calme, outre les regards dévorants lorsque je marche sur la rue où les hommes chaises correspondent à leur état, les marchands qui tentent de me héler pour que j’aille admirer leur marchandise, l’homme à la superette qui s’avère avoir un français impeccable et s’adresse à moi comme à la femme du président, sinon le président lui-même, rien de notoire. Il y a aussi une pizza fantasmagorique avec un salami fait de viande d’origine inconnue dont la couleur est aussi vive que la tombe de Nefertiti et une femme portant un superbe pantalon qui m’indique où acheter le même, vraiment rien à déclarer. Sauf peut-être que Tozeur est un endroit spécial avec ses édifices recouverts de briques de grès et de sable cuites au soleil dont les agencements, parfois savamment étudiés, ressemblent à de la dentelle. Il y a également les mosquées, trois ou quatre, qui se voisinent sur un seul pâté, et une circulation routière passablement endiablée qui n’a toutefois pas a être contrôlée pas des feux ou des arrêts – chaque carrefour me fait penser a cette vidéo filmée quelque part en Inde par un touriste tout aussi ébahi que moi devant ce chaos qui ne dérape pas, mais sinon, rien. Je mange à la pizzeria princesse où je reviendrai tous les jours et me lierai de cette amitié de voyage avec le serveur, lieu recommandé par un superbe noir qui appartient à ce groupe se faisant encore rare ici bien que nous ne soyons pas si loin de cette Afrique de la même couleur. Quelques jours plus tard, on m’annoncera sans grand malaise qu’à Douz, entre autres, il y a beaucoup de nègres. Je ne broncherai pas et l’annonceur de cette nouvelle se reprendra en parlant de noirs, peut-être parce que mon visage a alors démontré le problème que j’ai ou la reconnaissance du problème que les ‘arabes’ ont avec ces derniers. Il faut dire que Douz fut jadis une plaque tournante du commerce d’esclaves et que le présent ne révèle que les relents de ce passé. Je ne suis pas désolée de voir de la soit disant diversité, puisque dans ce pays, à part quelques touristes européens, la majorité reste dans le mesure ennuyante de la similitude. Certes, ils sont beaux et elles sont belles, mais ciel, les asiatiques me manquent, les blancs me manquent, les noirs me manquent. Je me questionne à savoir pourquoi il y a si peu de mélange sur les bords de cette mer intérieur où autrefois la circulation battait son plein, alors que chacun migrait à droite à gauche et multipliait les lexiques. Aujourd’hui, avec la méfiance, chacun reste chez soi et ne veut pas entendre qu’il n’a pas sa place. Les histoires de migration sont histoire et rien ou si peu ne subsiste de ce nomadisme. C’est à croire que même les contacts avec les autres ne transforment pas les gens, malgré les accents français et les devantures de magasins annonçant à tous vents les trésors qu’il y a en dedans. En me réveillant presqu’avec l’aube, bien qu’ayant privilégié une chambre loin de la rue Habib Bourguiba, trop habituée aux chants des oiseaux dès 4h30, je me prélasse et réussis à rêver jusqu’à l’heure du petit déjeuner. Je m’arme de crème solaire et pars à la découverte de la médina, la palmeraie et ce qui voudra bien se mettre dans mon chemin et l’œil de ma caméra. Mon arabe est plus confiant, je suis plus confiante, partout où je vais, sentant que mon pouls a enfin trouver le rythme, a un point tel que je pourrais ne jamais partir ou ne daignerais pas rester plus d’une année. Je suis enfin ici, les deux pieds bien plantés dans le moi qui se retrouve lui, faisant des blagues avec les vendeurs, des boutades niaiseuses a la préposée du bureau d’informations touristiques, des doigts d’honneur a ceux qui m’agressent et des exclamations sottes d’extravertie finie. Je me suis même surprise a chanter a l’épicerie, observée par deux emballeurs bouche bée ou je me suis sentie mal de me sentir trop bien. Amd’oullah, il fait soleil et je prévois rentrer avant midi pour ne pas me faire assommer quand le zénith sonnera. À peine 100 mètres de la porte de la résidence Niffer, on m’accoste, je réponds et sans que je ne le veuille vraiment, une conversation s’engage. Ce garçon, dont je ne peux toujours pas prononcer le nom, me fera visiter la médina, me racontera des légendes, me fera faire des vœux, me fera tirer des roches, m’amènera dans une boutique où des pantalons, des bijoux et autres babioles se retrouveront sur moi. Ça va, je sais comment réagir maintenant, je sais quoi répondre sans me sentir obligée de ne pas refuser leurs requêtes de repartir avec une culpabilité de leur misère, de l’absence de touristes faisant que je devrai être la touriste de tous et chacun, même rhabillée en arabe comme il n’en existe plus dans les rues, tout va bien. Qissem, peut-être est-ce son prénom, est gentil. Il a un gros derrière et les yeux clairs. Mais c’est parce qu’il est gentil et ne m’a pas complimenté ou n’a pas commenté quoi que ce soit de moi, outre ce que je fais dans la vie, que, sans inquiétude, je bois le thé avec lui. C’est ç ce moment qu’il m’offre un forfait d’une journée complète dans le désert à 140 dinars, 70 euros, 90 piastres. Il me montre des photographies des lieux, déplie ses dépliants avec diverses destinations et tarifs ou nombre d’heures loin de la ville ou on vous accueille avec un « Voir Tozeur et revivre ». Je prends des notes et poursuis ma route jusqu’au bureau d’information touristique où la dame qui me reçoit est sympathique à souhait, comprend et rit de mes blagues, car tel que mentionne quelques lignes plus haut, on ne change pas parce qu’on déambule en territoire étranger. Partout, je retrouve en moi mon père et sa manière de socialiser ç la légère avec les inconnus et d’être bourrue avec les proches, Partout, je traine le beau visage de ma mère et ses yeux noirs pétillants, ce que j’affirme après avoir révéler à différents amants ce visage aimé et disparu qu’ils ont tous ainsi reconnus sur l’écran de veille de cet outil indispensable à ma survie. Je me dois toujours d’ajouter cette histoire à propos de sa frustration d’être encore jolie, de se le faire dire sur son lit d’agonie et de tellement savoir que ça ne sert a strictement à rien. Aujourd’hui, j’aimerais lui dire qu’être jolie comme elle me sert en osti en Tunisie, parce qu’ici, contrairement au Québec, les hommes et même les femmes ont des trous dans la face qui servent à autre chose qu’à se contempler soi-même et à se raconter des bobards. N’empêche, la petite dame du bureau touristique me dit tout, m’indique même comment me rendre à la boutique Gabana pour acheter le sarouel à 20 dinars, m’informe que le belvédère n’est qu’à 20 minutes de marche et que le prix du voyage proposé au désert et dans les parages est un prix honnête. Sur la route vers le belvédère qui s’avère, a posteriori, plutôt décevant, les hommes dans les calèches me parlent de misère et de l’absence de touristes que je dois donc payer pour tous les touristes qui n’y sont pas, logique semblable à cette assiette qu’il faut vider parce que certains meurent de faim comme si notre satiété ou notre dépense compensait pour leur carence. Bref, je ne peux pas payer chacun pour leur détresse, étant dans une situation pas plus gaie et préférant, avouons-le, marcher. Voilà de trop nombreux jours où je ne vais qu’à la plage ou faire des courses, oisiveté égalant toujours danger. Au belvédère, je suis étonnée du terrain de golf, affreux soit dit en passant et au sujet duquel on m’informera plus tard qu’il est arrosé par les eaux usées de la ville faisant que les moustiques y sont comme des hélicoptères l’été venu, mais surtout du chamelier qui porte une sacoche Prada et qui me parlera, néanmoins très bien, même en allemand, tout le temps que j’y serai. Pas une miette de silence disponible à l’orée des dunes, à la frontière de la palmeraie, je demeure polie une fois de plus, mais je demeure ouverte puisqu’il me parle de salafistes, d’Allemagne et des effets de la révolution. Comme si c’était un discours qu’on ne m’avait pas encore servi, j’écoute. C’est un vieux berbère qui me rappelle Salam, le guide qui m’amena dans le désert du Sinaï pendant trois jours, avec le même nombre de dents dans la bouche, le même cuir aux joues, des mains cuites et des vêtements climatisés pour ce climat plutôt hostile à la vie. J’ai d’ailleurs les pantalons achetés à ce désert, ayant cru bon de devoir me vêtir pour l’occasion. Ce sera la dernière occasion. Mais je ne peux brûler les étapes…

            Je me rends ensuite au zoo, à des lieux de cette zone touristique où certains ont cru bon de devoir sculpter la face du célèbre poète de la place dans la montagne et ou les amoureux vont s’embrasser en secret. Sur le chemin, on me suivra, on m’offrira de m’y conduire en moto, de m’y accompagner à pied, on m’informera que j’en ai pour longtemps, je m’arrêterai acheter de l’humus, oui des pois chiches, et quelque chose de fria. Le soleil plombe et ne m’empêche pas de comprendre la façon dont on divise l’espace donnant accès aux palmiers dattiers, ce qui pousse ici en abondance, de voir comment les propriétaires de parcelles démontrent leur propriété avec des portes somptueuses faites de bois et des clôtures de palme, mais à l’horizon, pas un brin d’ombre. On m’a eu. Toutes ces paroles échangées – le guide dans la Médina, le chamelier et je ne sais plus qui ayant pu me prendre un trente secondes par ci, une minute par-là –, m’ont mené jusqu’à midi et je cuis, je sus, je ne me peux plus même ayant mangé. Je vais m’écrouler et mourir seule asséchée dans une palmeraie aux portes barrées, dans le petit chemin de terre poussiéreuse ou de moins en moins d’âmes qui vivent se montrent à mesure que je m’enfonce en bordure de ces parasols qui produisent des pierres précieuses se cueillant en octobre, J’adresse la parole à des enfants, à des personnes âgées, je ne me gêne même plus pour avoir l’air perdue, car me taire n’y changerait rien. Tous me voient et voient, malgré le teint tunisien, que je ne suis pas une locale. Comme à Séville, à cette heure, il n’y a que les chiens et les touristes qui sortent. Le guichetier au zoo reconnaît mon accent et n’oublie pas de souligner ma beauté. Je commence à être immunisée ou c’est comme une suite logique du genre : salam aleikoum, ça va, labess, amdoulah! J’assisterai à l’intérieur de ce lieu partiellement ombragé au spectacle du dromadaire qui boit de l’eau gazeuse, du scorpion dans la boite de cigarette sous les yeux ébahis d’Allemands qui semblent aussi cons que la lune. Le mec qui fait les tours me raconte qu’il ira travailler au zoo de Granby avec les animaux du désert, soit ceux qui se trouvent ici. Des singes, des hérissons, des fennecs, des fauves, des reptiles de différents genres et des volatiles imbéciles, dont l’autruche qui semble en être la reine. J’assisterai au moment nuptial de deux paons qui se la jouent et finiront bien par se pendre l’un à l’autre, tandis que je n’aurai pas la patience d’attendre, mais surtout parce que j’ai le soleil qui fait fondre ma casquette et tout ce qu’il y a en dessous. Dans le sud de la Tunisie, il est plutôt difficile d’oublier l’amant ardent. N’empêche, le refuge est un jardin bien nommé le paradis où les eucalyptus folâtrent avec le palmier, où des amoureux se bécotent entre les feuillages offrant un répit de cette présence dorénavant surprésence et qui annonce le préfixe sur pour presque tous les mots qui vont suivre, mais que je ne daignerai pas l’ajouter pour alléger la lecture comme on allège l’affaire en masculinisant allégrement un texte. Alléger, mon œil, mais comme c’est ainsi, parfois, il suffit de lâcher prise pour que la légèreté se manifeste. À la buvette, attendant le retour d’un cocher, morte par tant de rayons,  je sympathise avec le tenancier qui sera un de ces garçons me saluant de l’intérieur d’une camionnette le lendemain lorsque je serai attablée chez la princesse à me faire conter fleurette par le serveur de qui je n’accepte pas l’invitation à un café. Ça s’en vient, mais je deviendrai une star à Tozeur, tous reconnaissant la canadienne et enviant mon petit ami que ça irrite au plus haut point. Il est jaloux, mais il n’existe pas encore tandis que nous parlons faune et flore, de New York, de Montréal, de Granby et enfin, du cheval qui bat la poussière et me ramènera en ville. Je retournerai voir le garçon m’ayant offert la journée à 100 balles et achèterai la journée à 100 balles. Demain, Ali viendra me chercher à la porte de l’hôtel et nous partirons pour le désert et les oasis de montagne. J’essaierai de faire la sieste, irai à Gamara et découvrirai un quartier mal famé où pas un étranger ne se perd. J’y fais la rencontre d’un ancien enseignant de français qui sent l’alcool et à qui je demande à quand remonte sa dernière bière. Ce Kamel est bien et veut me montrer des choses que je ne remarque supposément pas, je le suis, mais je constate rapidement qu’il ne comprend pas ce que je vois que lui ne voit plus, vieux mec de Tozeur. Or, il m’amène aux rivières où les riches habitent parce qu’il y faut plus frais, me raconte des bobards pas possible et comme avec Anouar je deviens une partie de la famille, je suis comme sa fille et il va me marier à un de ses garçons, celui de 19 ou de 23 ans, peu importe. Je le suis jusque dans un jardin où il se met à boire du jus de palme qui saoule et goute le cul, me fume des cigarettes, me prend mon briquet, mon stylo et m’invite  manger le couscous avec sa smala. Je ne dis pas non. Je dis peu non. Je sais dorénavant me débrouiller. Il m’offrira d’acheter de la bière et qu’il m’accompagne si j’ai peur, mais je dois lui acheter de l’alcool parce qu’il n’a pas un rond. Ça va, je peux très bien vivre sans Celtia. Nous irons chez lui, il me présentera sa petite de cinq ans, sa femme, éblouissante de beauté et de jeunesse à 47 ans, son fils de 19 ans que je DOIS marier et ramener au Canada, alors qu’il ne souffle pas un bonjour, comment ça va. Refusant d’emblée, croyant encore à l’amour, mais surtout à la communion des esprits, je m’aperçois que toute la conversation ne tourne qu’autour de ceci et que j’ai bien peu de marge de manœuvre. Puis, après m’avoir offert une bague, tiens donc, voilà que je dois lui donner six dinars pour le repas. Merci mon Dieu, je n’ai plus un rond et lui montre le contenu de la poche magique en m’excusant et lui explique mon malaise, grandissant à mesure qu’il insiste. Je pars, je m’excuse, mais je ne pensais que ça devait se passer ainsi. Je reste sa fille et pour moi, tout ceci reste de la belle merde. Fieffé coquin. Je comprends que tes fils aient honte de toi.  Je n’ai pas honte de mon père, bien que j’en sois parfois gênée, mais mon père est digne et fier et ne me vendra au premier quidam venu qu’il imagine riche. Affamée, je cours chez Amira Pizzeria et un jeune au sourire lumineux m’invite à un café. Surprise? Ce n’est pas le premier, mais ce l’est qui me suit et me dit que je suis TROP belle. Je demande à mon serveur de me sauver de cet enfant trop insistant à qui j’ai dit non pour tous les autres, à qui j’ai dit oui, presque à regret. Il partira, je mangerai mon chawarma et assise dans le parc face à l’hôtel avant de rentrer, il apparaît, tout sourire encore, puisque c’est sa principale caractéristique. Talel Saadi ira acheter un thé, me racontera ses neufs mois en Europe, me dira sevi seniorum, Monastiraki, Sidi bou Said et ne m’ennuyant pas, je laisse faire, il est totalement ouvert, généreux. Il m’invite sur sa Vespa et soudainement, je ne dis plus non. Ça durera des heures et je découvrirai tous les grands hôtels de Tozeur, dont la majorité sont fermés depuis le révolution faute de visiteurs, merci les salafistes. On m’offrira des gâteaux qui sécheront si je ne les mange, des fleurs de jasmins des roses. Ma sacoche regorge d’odeurs enivrantes et toute la palmeraie ensuite n’aura plus de secrets, havre de fraicheur où la ville sort fumer la chicha, jouer aux dames, boire de la bière. Il y a des bars à tous les coins de palmiers, des complexes avec piscines, expositions, musiciens, c’est une tournée extraordinaire et je suis reconnaissante de voir l’envers de cette cité. Il m’amènera chez sa mère, son père étant décédé l’an dernier, en novembre, et ce sera la plus grande maison qu’il me sera permis de voir, sans cour intérieur, mais avec deux étages et des tableaux sur les murs, du velours rouge sur les sofas, des ipods qui trainent partout, des caméras, des ordinateurs. À première vue, je dirais qu’ils sont riches et que la mère est belle. Nous irons sous l’antenne du wifi gratuit ou il me présentera le reste de sa famille, en Italie et en Belgique via Facebook et Skype. Puis, j’insisterai pour rentrer, tenant à peine sur mes deux fesses et sachant que demain m’attend. Le Ipod sur les oreilles, le portable dans un sac, la fille à l’arrière, le bonheur à tous vents, les polices qu’on salue et qui ne nous arrêtent pas passant l’arrêt, sans casque, les orteils à l’air, on peut rouler à contre courant et faire n’importe quoi. Or, le n’importe quoi, parfois, devient bel et bien cela. À environ cinq mètres de la porte de la résidence Niffer, Talel traverse la rue pour entrer dans celle où se trouve le portail. J’entends un klaxon ridicule, je vois une moto arriver et espère de tout mon cœur pendant une fraction de seconde, l’autre, une moto nous percute et une autre fraction plus tard, j’ai ouvert les yeux, je me relève à toute vitesse, craignant que des voitures ne nous fracassent davantage et constate les dégâts. Je suis vivante, c’est déjà ça. Je suis sur mes deux jambes, c’est aussi une bonne affaire. Je sens néanmoins du sang sur mes cuisses et mon pied droit brûle. La chaussure qui y était est à un autre carrefour et je crie comme une folle : I want my shoe, I want my fucking shoe, pendant que tous les homme attroupés, une bonne trentaine, me demandent, ça va madame. L’accident est arrivé et Talel est aux abois, j’ai les yeux qui lancent des missiles scud, je ne veux plus personne dans ma bulle. C’est que je suis en colère. Sauvée d’une possible mort, ne sachant comment réagir, en plein choc, les culottes en lambeaux au milieu de la rue dans une ville où bien habillée une femme se fait dévisagée, je suis lovée par la peur qui ne me lâche pas, par l’ébahissement d’être là, presqu’aussi intacte qu’après un accident de vélo. Les Vespas sont en miettes sur la chaussée, les deux mecs sont en parfaite forme, mais on m’amènera à l’hôpital – je suis la seule qui saigne –, toujours aussi fâchée dans la voiture et bien que j’ai répété une bonne dizaine de fois, I’m fine. Je ne sais pourquoi, mon français a fuit sur le pavé, je parle anglais et là, sérieusement, pour la solitude, c’est pire qu’avant ou c’est réussi selon l’objectif visé. Si Talel, dans sa tournée de la ville a voulu me montrer l’hôpital, la visite n’a su tarder malgré mon refus passé. Or, pour comprendre l’état de la Tunisie, peut-être faut-il faire ce détour, une Française venant ici depuis douze ans au moins dix fois par année me l’a confirmé. Il faut voir leurs hôpitaux…

Nous sommes entrés comme dans une auberge espagnole, quelques personnes autour d’un bureau fumaient des cigarettes en parlant, nom, prénom. Date de naissance, voilà ce qu’on demande. Ai-je des douleurs au haut du corps? Non. Que des coupures par-ci par-là. Talel tente d’être attentionné, mais je bous, je lui en veux de sa désinvolture qui me dérangeait si peu avant cette peur bleue. L’infirmier a l’air d’un croque-mort, il me tâte le pied, mets de l’alcool, du mercurochrome, un pansement. Merci, bonsoir. Pas un mot. Talel me raccompagne en taxi et je constate dans ma chambre les autres égratignures sur mes cuisses, le sang sur le coton égyptien, la ruine de ces pantalons qui auront vécu en paix de l’an 2000 à maintenant, à ce retour au désert. Comme si le reg n’aimait pas l’erg et ne me permettait de ne pas suer toute mon eau le lendemain. Je m’inquiète de ma virée dans le sable, j’ai mal à marcher, je me sens vulnérable avec ce pied blanc au vu et au su de tous. Je ne peux plus courir et me sauver des malotrus. Merde. Mais vivante, sans membres cassés, j’y crois à peine et devrai fumer pour me calmer, me regarder entre les deux yeux dans le miroir comme je n’aime pas faire et me parler. Là, me zyeutant, la cigarette au bec, tentant d’être reconnaissante, de redevenir croyante, une fois de plus. Demain est un autre jour, mais je crains ma propension aux infections et à la claudication, ce pied déjà massacré par un tesson de bouteille qui devint deux fois plus gros que le normal, m’empêchant de mettre mes botes d’hiver, alors que le mal avait eu lieu en septembre, juste avant l’anniversaire de mon frère.  Qu’adviendra-t-il de ce pied? Que sera ma visite avec Ali à Chebika, Midès, Tamerza et Nefta?  Quelle est cette journée folle comme il y a des années que je n’en ai vécu, une simple affaire de 15 heures dans une seule ville ? Un rêve, un tableau de Chiriquo, un cadavre exquis. Toute la crédentité du monde ne me suffit pas à croire que je suis encore là, n’ayant perdu que quelques dinars, un pantalon et des bouts de peau. Je crains de ne pouvoir marcher le lendemain, mais il ne me reste qu’à m’assoupir, moi qui étais prête sombrer sous l’antenne qui permet de surfer gratuitement, moi qui pourrais alors écrire un roman, adrénalinisée jusqu’au cou. Du sommet du crâne au cou. Mon corps vacille, mon pied est présent, mon entre-jambe suppure de la marque du siège éclaté en morceau, plastoche de mes deux qui n’a pas résisté à l’impact et m’a pincé profondément. Il n’y aura pas de rêve, ces derniers ayant été épuisé diurnement et le réveil sonnera après que j’eu émergé de cette nuit étrange et trop courte.

Le désert et mon guide
            Le petit matin, soit la grasse matinée dorénavant pour moi, m’a sorti du lit vers sept heure et je me dirige tant bien que mal vers la cuisine pour prendre mon petit déjeuner. Le responsable d’icelle me salue et constate mon pied bandé et s’exclame : ‘c’était vous!’. Il a vu par la fenêtre de la résidence l’accident, avait remarqué la femme portant une casquette, mais sans faire de lien entre l’étrangère gitant chez eux et cette pauvre conne se relevant prestement de la chaussée malgré l’impact. Je mange et comme le temps ne passe pas comme d’habitude, je me dirige à la boutique où je trouverai mon vendeur de forfait voyage dans le désert. Je descends la rue tranquillement, m’appuyant délicatement sur ma blessure pour ne pas m’abîmer davantage et y arrive, encore, tant bien que mal. Bien accueillie, il m’informe que je devrai attendre un peu puisque je n’avais pas confirmé dans la soirée et qu’il doit appeler Ali et l’en informer. Il ira me chercher le thé et me fera attendre sur une chaise à l’ombre d’où je vois défiler des gens faisant de la musique dans la boite d’un pick-up ouvrant un cortège pour un mariage. Dans les voitures et camions qui suivent ce système de son à ciel ouvert, tout le trousseau est en fière démonstration et ça klaxonne allégrement. C’est un homme étendu sur une natte, près de moi, qui m’annonce l’événement heureux. Effectivement, si c’est une union d’amour, ça ne peut être qu’extraordinaire surtout ici où avant même que ne sonne neuf heure, il fait déjà 32 degré Celsius, où les costumes traditionnels sont affriolants et élaborés, où les hommes et les femmes savent se faire si beaux quand ils y mettent du leur. Je le sais bien maintenant que je me sens happée par tant de visages que je prendrai dans mes mains, que je caresserai de mes lèvres ou mes cheveux. La beauté ici ne finit jamais ou parfois à des âges fort avancés. Et encore, même la mère d’Anouar avec ses trois dents, ses rides profondes et sa maigreur à faire peur à la beauté collée au front, dans le fond des iris. On m’a expliqué que c’est parce que certaines personnes ont le cœur blanc et que la lumière qui s’y love irradie par tous les trous du corps.  Puis, après plusieurs minutes d’attente, le 4X4 arrive et en sort un énergumène à turban comme je n’en ai jamais vu. J’indique à Qissem avec mon index l’allure du mec avec un mouvement de haut en bas. J’ai le sourire aux lèvres et envie de rire, mais ma foi, c’est un chevalier du désert. Il porte les classiques sarouel dont la fourche descend aux chevilles pour l’aération, mais elles sont noires et beiges avec trois croix du su brodés en jaunes sur les côtés. La chemise est semblable et il a un turban gros comme une assiette de couscous. Parle-t-il bien le français, demandais-je me dirigeant vers la voiture, pensant avoir à faire à un ermite qui habite ses chèvres ou je en sais quoi.  Il est jeune, a l’air un peu bête, me serre la main en me disant son nom et mon le mien et on monte dans la voiture. Il arrêtera acheter de l’eau fraiche et nous voilà sur la route pour sortir de Tozeur. Il ne me parle pas, je ne lui parle pas. Ça me change. Je profite de ce moment de répit, absorber par ce que je vois dehors découvrant que l’Atlas, niaiseuse, va du Maroc à la Lybie et donc que tous les escarpements de la Tunisie font partie de cette chaine de montagne. C’est la seule chose qu’il m’ait dite sur 40 kilomètres. Ah non, il me montre aussi les mirages qui s’avèrent  de grandes plaques miroitantes ressemblant à des lacs, mais qui ne sont que réflexion solaire. Un mirage n’est que ça, rien d’autre, pas de palmiers aux côtés de fille toute nue ou de génie sortant de la lampe frotté comme le sperme après de ces vigoureux mouvements. Voilà, il fallait que je parle de sexe, puisqu’il me semble que mes billets sont bien secs. N’empêche, on roule sans mots dire, outre le : tu as une caméra? Mais oui. Tu sais où on va? Mais non. Je me sens superbement conne, incapable d’emmagasinée de l’information et il finira par me questionner sur mon accident que je résume rapidement. Je bombarde la rougeur des pierres encerclées d’une buée vive faisant des spectres avec les arbres. Les irrégularités sur le versant coulant vers l’Est, soit celles que j’ai en pleine face, sont majestueuses et els grains semblent doux de loin, S’approchant, la roche va devenir âpre et grosse de rugosité invitant moins, du moins de la main mais pas moins du pied, que j’ai bien chambranlant.  À quelques mètres de Chebika, il arrête, m’invite à prendre des photos hors de la voiture, me prends en photo et m’annonce que d’habitude, il laisse les touristes monter seuls, mais qu’il viendra avec moi pour que je puisse profiter de ma virée. Je boite et il me prend par la main. On ne se parle toujours que bien peu, tellement peu que je ne me souviens pas ce qu’il me raconte. À tant de kilomètres l’Algérie, il vient de Tlemcen, sa mère est algérienne, il est donc kif-kif berbère touareg est pas mal fier derrière ses verres fumés. Il n’a pas de regard et peu de paroles, bien que son français soit impeccable quand il l’emploie. La petite randonnée faite, il m’achète à boire et ma main toujours dans sa main, il me ramène à la voiture d’ou nous partons pour Midès. Il se met à me raconter des histoires de touristes qui ont voyagé avec lui, ce qu’Il fait dans la vie, avec des blagues pas drôles au passage. Il est raide comme une barre, tout retenu comme je n’ai jamais vu, mais ose mettre son index sur mon tatou et dire que c’est joli. Nous parlerons tatou quelques minutes et ce sera le retour au silence ou devrais-je dire à l’audition de la musique qui joue depuis que j’ai mis mon cul sur le siège du passager. Bigarrée, inattendue, parfois méga pop, parfois bien techno, parfois simplement traditionnelle. Je pourrais dire un bon mix, mais il avance une tune sur deux et j’aurais envie de lui dire que c’est peut-être plus pour moi que pour lui, donc de laisser faire.  Nous n’irons pas à Midès ou seulement sur le chemin du retour. Nous roulons jusqu’à Tamerwa ou une splendeur m’attend, soit une cascade d’une limpidité battant celle précédemment vue et qui n’était pas éclairé par la même heure et n’offrant pas des leurs aussi paradisiaques. Bounty, un petit coin de paradis. Si je n’avais le pied bandé, je pourrais en profiter m’indique-t-il, les touristes aimant bien s’y baigner. D’ailleurs, il y a des gamins qui s’y amusent avec la radio sur les cailloux qui jouent et les chèches multicolores qui battent dans la brise pas fraiche pour cinq cennes. À chaque arrêt, il sort une cigarette de sa poche, mais pas de paquet. À Tamerza, il retire ses lunettes et je meurs. Après m’avoir joué ce tour, il me  plante là avec ma caméra et le présent et part discuter avec un ami. Je ne vois même plus le paysage, je ne peux même plus voir l’exception dans laquelle je me trouve, pas d’avoir passé deux heures assise à côtés d’un si beau gars, celle qui s’accroche aux rochers et aux eaux, au décor pour lequel j’ai payé et pas les beaux yeux de Ali Saadi. C’est Gael Garcia Bernal avec un turban et un accent fort charmant. Je suis là, dans le creux d’une cuve naturelle, dans un oasis au cœur du désert tunisien et je viens de perdre la carte. Je me mord les lèvres et me murmure répétitivement « criss qu’y’est beau ». Je tourne en rond, marche à gauche, à droite, comme une fille saoule qui titube, parfaitement éblouie par tant de beauté. Je ne suis même pas capable de le rejoindre, ça me fait peur et ça me fait presque mal. Mais un moment donné, le niaisage, c’est assez et après la descente de cerveau au niveau du bassin, il remonte et je me dirige vers lui. Je crains de ne plus le regarder de la façon que j’avais auparavant de ne pas le regarder, je ne veux surtout pas qu’il réalise qu’il y a eu modification que je me pourrais expliquer s’il avait à me questionner. L’autre ami me montrera la couleuvre du désert, le scorpion dans leurs boites, vivants et de la teinte du sable et Ali m’invite à me choisir un chèche puisqu’on part au désert. Vieille Touareg finie qui connaît ça comme le fond de sa poche, le bleu sied si bien à ma tête avec l’enseignement dispensé et le sourire de l’autre qui m’affirme que c’est un cadeau. Shokran. Est-ce que j’ai faim? Non. On retourne dégringoler les hauts et remonter les falaises et je retiens mon souffle quand la vue est trop large, trop grande, trop toute. Je pourrais photographier sans cesse, soit peut-être filmer, en sachant pertinemment que ça ne rendra jamais le sentiment d’immensité, l’impression, les dimensions ou la profondeur de la vallée et ces odeurs que je savoure et qui vont me manquer. Oui, le parfum du sable et de la chaleur sèche qu’avant midi entre par les fenêtres rabaissées, car la vitesse à laquelle avance son cheval blanc permet de ne pas cuire littéralement. Nous fermerons toutefois le caisson, mais après Midès ou la fente se montre à l’air et je ne pense pas alors à la mienne, ni même à son renflement, mais au moment de pianoter sur ce nouveau clavier externe, oui. Je ne suis pas certaine d’apprécier à sa juste valeur le lieu, je fais du calcul mental et trouve que le gaz est pas mal cher et que ce mec a un tarif de malade mental pour ce qu’il fait.  Or, contrairement à ce que Qissem avait avancé, il m’abreuve, free. 3 dinars de retour sur mon investissement de fille qui voyage seule et pour qui tout est donc franchement plus cher. J’ai néanmoins le chauffeur pour moi toute seule. Il faudrait bien que l’on finisse par avoir une conversation décente ou d’adulte. C’est le désert, l’éternel, le refuge ultime, l’inestimable danger qui pourtant est saturé d’une vie grouillante, mais échappant à nos yeux fatigués de stimulus publicitaires, d’écrans, de chiffres et de lettres. Là, c’est l’absolu repos, l’intranquilité chassée à grands coups de pieds dans le derrière, à grandes gifles sur la gueule, le beigne en pleine face qui tue tous les papillons noirs, même quand la nuit tombe, car le rideau est troué et la lumière fuse de toutes parts.  Je suis d’or, moi aussi, animal qui rejoint ce qui l’entoure uniquement là, trouvant le sein et le tétant à plus soif.  Je vois des mirages partout, des colonnes de poussières tumultueuses qui tournoient, s’élèvent follement, seule à quitter la terre. Des buissons salés parsèment ce tapis imitant l’astre, des trois ou des fosses qui s’enfoncent et boivent on ne sait quelle eau, l’autre chose formant trouée en symétrie à ce qu’on voit la nuit. J’ai la tête sortie de la voiture, je ne regarde que ce dehors immense, le beau Ali conduit le char et c’est tout. J’ai oublié sa beauté, mais parfois sa voix surgit dans le vent qui courre, solitaire et libre, heureusement. Je suis heureuse, je rayonne, je lance des flammes, je suis extasiée et ma face est une banane pelée, aussi indécente, aussi impossible à imaginer quand je suis visiter par les ombres de mes propres profondeurs. Là, la mort s’est tue ou m’a dit que tout était bien, que tout semblait être elle, mais que justement, nos yeux fatigués ne voyait pas qu’en elle, malgré els leçons des grandes religions, se trouvaient tant de vie. Dans le désert, dans la voiture de Ali qui vole presque au dessus de la piste qui craque néanmoins au passage de ce poids lourd, je me suis souvenu que la mort m’était pas la fin de tout. Nous étions le 13 juin. Neuf mois plus tard, neuf mois après que ma mère ait fermé ses yeux noirs étincelants pour l’éternité, qu’elle expira quelques minutes après que nous l’ayons quittés, seule avec son amoureux, seule face à cette traversée qui ne requiert pas de savoir nager, car le Styx n’est  probablement qu’un mirage. Neuf mois pour mettre au monde un nouveau monde et y arriver plus sereine, plus réconciliée avec la colère de cette injustice, que l’heure de ma mère ait sonné avant celle de tant d’autres qui ne m’aurait pas fait mal, qui ne m’aurait rien enlever. Accouchant de cette réalité dans les cris et les larmes, l’enfant n’est pas de chair, mais dans mes bras, dorénavant repose une vie autre et quelques jours plus tard, je me surprends encore à ne pas être visitée par l’angoisse lorsque le drame frappe à la porte. Le désert m’ayant fait vivre un anniversaire sans trop de tristesse, une fête pour ma mère qui aurait été contente de me savoir cavalant sur ce territoire, dans cette merveille, le cœur rempli d’elle, le cœur aimant à son image le cœur reconnaissant, tant de vivre ceci que d’avoir l’impression de le revivre, de m’y reconnaître, de m’y retrouver comme à la maison, la maison, le domaine des mères, le royaume ou les enfants portent la couronne et que portait fièrement en ce 13 juin 2013. Reconnaissant donc une route qui n’en une que parce que les voitures y circulent parfois, un chemin que seuls les habitués peuvent savoir pour mener à destination.  Nous allons sur un site du tournage de la Guerre des étoiles, le retour du Jedi pour être plus précise et sincèrement, je m’en fous royalement. Pour une rare fois, le voyage m’importe bel et bien plus que d’arriver à ce lieu.  ‘ais avant ce sera le passage par les dunes, le grand huit ou Ali me fait crier, me fait m’agripper à sa manche, tandis qu’il rit de plus belle à chaque sursaut supplémentaire. Il est pied nu, les sandales berbères dans le fond du char. Nous sommes seuls au monde, outre deux berbères qui gardent une toilette ridicule et quelques tables ou ils vendent des bijoux et autres cossins du même acabits. On gravit la montagne, main dans la main, on redescend la montagne, mains dans la main. Je tombe amoureuse du bébé fennec que je cajole, ravie, pendant que le jeune berbère prend des photos, de bonnes photos, enfin. Oh, le bébé fennec! Je suppure de jeune fille qui fait des ah et des oh, je suis toute molle et  je ne m’en cache pas, je fais ’enfant de 10 ans et ça ne me gêne pas. Je suis tellement contente! Et il y eut la cigarette fumée à l’ombre, calmement, alors que je lui raconte le mythe d’Icare, que le premier miracle d’Issa fut de changer l’eau en vin lors des noces de Cana, que je vais réécouter la Guerre des Étoiles en rentrant pour revoir les lieux. On parle du silence qui n’existe qu’au désert et me dit qu’il a vu mon amour pour icelui  et me parle de revenir pour aller à Douz, Ksar Guilane, Matmata et tous les oasis qui se trouvent entre la frontière algérienne et lybienne.  Je lui dis que je voudrais bien venir pendant le festival et il parle des deux qu’il y a en décembre, l’un suivant l’autre et étant couru par tous les arabes du monde et qu’ensuite, c’est son anniversaire. Il me donne sa carte d’affaire faite par des touristes australiens qui lui ont même fait un site internet pour el remercier, que dis-je, il me tend trois cartes et je lui parle de Talel Saadi. Son cousin ou plutôt, le fils d’un de ses oncles. C’était sa vespa. Il rit. Il rit encore et je ris aussi que le monde soit ainsi petit. Il faut dire que Tozeur, une grande ville comparativement à Hergla, n’est qu’un petit hameau rempli d’alcooliques ou, pour le dire autrement, ou il y a plus de buvettes que de bibliothèques.  C’est déjà le retour et ça me contrarie un peu que ce soit si court, lui ayant su me vendre l’affaire pour que j’ai envie de continuer comme ça pendant des jours sinon des mois.  Il me raconte toutes sortes d’histoires, avec des japonais, des brésiliens, des anglais et on passe d’une langue à l’autre sans vraiment Men rendre compte. Ça me plait étant donné que l’anglais me manque et que son accent me rappelle celui des Égyptiens.  Arrêt à Nefta dans un hôtel avec vue panoramique sur le cratère et ou on boit une bière exactement au moment de l’apéro chez nous. Je parle politique, il parle du Maroc, je parle de ma méharée au Sinaï, il parle de mon prochain voyage en Tunisie et de ce qu’on fera.  Je le trouve un peu crinqué, mais il est tellement professionnel depuis la matinée, ni froid ni chaud, tiède comme un occidental qui fait son boulot, réservé et ouvert, divers et complexe comme la musique qu’il écoute, mature en fait devrais-je dire, sensé et avec l’air profondément méditatif. Il est beau à faire pâmer toutes les filles et certains garçons et a un charme certain de gars calme et intelligent. Ses trente-huit ans lui vont très bien et c’est très bien de rencontrer un gars de son âge qui donne l’impression qu’il a justement le même âge. Bref, il me plait et ne s’est pas comporté comme un malotru, ce gars arrête pas de faire des points au fur et à mesure que je passe le temps en sa compagnie faisant en sorte qu’au moment ou il m’invitera à aller prendre boire de la bière dans le désert en soirée, je ne réfléchirais pas et tout mon corps, peut-être même jointe à mon âme, va dire oui. Il ira m’acheter deux kilos de dattes, prendra sa douche et fera nille courses avant de me repêcher deux heures plus tard, après une courte restauration, une tentative ratée de sieste et une fausse douche, toujours en raison de mon satané pied. Vous l’aviez oublié, pas moi. Il élance et me rappelle que je ne suis pas si agile que deux jours plus tôt, mais je ne refuse rien., je ne me refuse rien. C’est la leçon de ce 13 juin. Des mots très forts que ma mère dits à un micro lors du quarante-cinquième anniversaire de mariage furent de ne jamais oublier que nous sommes aimés et de profiter, savourer la vie. Je ne l’oublie pas, je ne l’oublierai, j’ose espérer, jamais.                           

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