vendredi 5 juillet 2013

Le féminisme II



Ébranlé, échaudé est mon féminisme. Presque deux mois en terre musulmane ne change pas nécessairement la donne, mais m’a obligé à me frotter à mes présupposés, pas tant sur les hommes que j’ai rencontré que sur les miens et ma façon de les appréhender. C’est autant dans le harcèlement que dans la façon du gardien de me dire que je ne devrais pas sortir lorsqu’il  fait nuit, car je devrais avoir peur de déambuler seule dans Hergla, mon village de 300 habitants dont j’en connais 500, puisque les autres sont des femmes et des enfants et ne sortent justement pas quand le grand drap noir s’étend. C’est dans cette fréquentation du café, désormais assidue puisque j’y rejoins presque quotidiennement mon ami Anouar, ce dernier, malgré l’allusion aux films adultes n’ayant pas franchi les étapes nécessaires pour recevoir un nom autre. La rivière dorée est restée à sec malgré ses tentatives ou à cause d’elles, de son empressement à aboutir qui me rebute tant.  C’est dans la fréquentation du café, car dans ceux-ci ne traine que la gent masculine qui n’en revient pas de me voir là et de me voir, en plus, écrire ! Je peux toutefois me le permettre, car même s’ils sont bêtes, ils ne se trompent pas sur mes origines et ne m’interdisent pas l’accès pour raisons religieuses. Je suis un phénomène et ce fait est respecté, bien qu’il rime souvent avec un rapport plutôt débridé à la sexualité, dans leurs têtes, entendons-nous. Mohammed, un des tenanciers de ce lieu où je me rends m’indique que la mentalité est arriérée, que la Tunisie est un ensemble vide et que lui-même en a plein le dos de servir ces cons finis qui ne pensent qu’à jouer aux cartes en buvant leur petit café et qui n’ouvrent jamais un livre. Des ânes, que je lui dis. Il acquiesce et rêve de peu et de tout avec son Bac 2, soit une voiture, une maison et une jolie fille, soit une belle situation stable qui semble se raréfier dans nos existences à tous. Le grand rêve, l’affaire traditionnelle autrefois si simple et désormais si complexe, tant à atteindre qu’à conserver plus de quelques années. Je le dis en pensant à tous ces divorcés qui sillonnent les cités dans ce qui pourrait paraître être encore une patrie appartenant à ce monde d’antan, mais non, et ce, bien avant que survienne la révolution ou plutôt qu’ils la fassent à grands cris et à combustion publique. La dite modernité fait son œuvre partout et crisse le monde à bout, souvent dans le désarroi si ce n’est le malheur. Je constate que personne n’est épargné et le grand plaisir de se rapprocher des autres réside peut-être strictement dans ce partage des noirceurs qui console le temps qu’elles ne sont pas qu’à soi.
            Mon féminisme est néanmoins aussi foudroyé dans ses rapports plus intimes, soit quand je dois lutter contre Anouar parce que son érection l’oblige à poser des actes que je refuse et que sa seule excuse est de me dire qu’il est un homme. Oui, j’avais remarqué, comme j’avais remarqué que les femmes boivent du thé, boivent à la paille et reçoivent des fleurs tandis que les hommes boivent du café au verre et sillonnent les rues en mobylettes. Mon féminisme bat la chamade quand Ali et moi parvenons à la querelle de saoulons et qu’il me débite une liste de reproches sur mes comportements paraissant irrespectueux aux yeux des spectateurs de notre affaire, parce qu’il est un homme et a besoin de respect. C’est aussi mon féminisme qui lui répond, âprement, que je suis une femme et ait le même calisse de besoin, sans avoir oublier de mentionner à maintes reprises qu’il existe plus qu’un océan entre nous. Je ne sais même pas s’il comprend, n’ayant certainement pas lu quelques textes lui signifiant qu’une autre révolution a battu et continu de battre son plein et son vide. J’écoute mon cœur et il penche vers cet homme, mais ma tête me lance des signaux rouges quand il raconte que les blanches sont si jolies avec le hijab, plus que les arabes. Mettons que mon couvre-chef va se limiter au chèche, à la casquette, au casque de vélo ou de moto et que les leçons islamiques ne m’intéressent plus quand vient le temps de mettre ce voile qui ne me semble plus avoir sa raison d’être. Je suis ébranlée quand une enfant d’à peine dix ans va à la plage et qu’on s’écrit « haram », parce que sa camisole se relève et laisse voir son nombril. Je suis toujours sur le cul quand je vois les gants portés à presque 40 degré et j’entend cet ami me dire que ça lui semble strictement arrogant, parce que présupposant que cette peau suscite le désir, est dangereuse et qu’elle serait responsable de drames sexuels. Certes, je subis du harcèlement, on me touche le bras dans la rue, on m’a même embrassé le tatou que j’ai sur l’épaule. On m’a dit des millions de fois que j’étais belle. Je collectionne les numéros de téléphone et les invitations à prendre des cafés, mais personne n’a encore osé me violenter et je ne pense pas qu’Allah m’a ainsi faite pour me cacher. Je ne pense pas que les hommes peuvent se promener en short dans les rues et les femmes se couvrir de A à Z. Je ne dis pas que je méprise icelles, je pense seulement que l’argumentaire est bien faible, s’il est existant et que la Tunisie du 21e siècle ne devrait être comprise comme l’Arabie du 6e siècle. Trop d’eau a coulé sous les ponts, trop de sable a soufflé. Chaque moment que je passe en la maison Limem, je vois Turkiya faire du ménage ou de la nourriture, ne pas sortir, ne pas se reposer, ne jamais penser à elle, vivre une vie fort étrange. Toutes ces activités, je le constate aussi, la défoule d’une certaine façon d’une rage aussi prégnante et grande que la mienne, mais qui me désole, vue ses 32 ans, vue les pouvoirs qu’elle recèle et qui ne s’épanouiront que dans la domesticité. Certes, tous bénéficient de ses doléances, la mère malade aux reins et à l’estomac pour laquelle je crains le pire étant donné que la diète ne change pas, qu’elle git sur son lit du matin au soir ,le père qui tisse la chamille au deuxième étage et descend manger et fumer, part au jardin promener l’âne et nourrir les poules, Oumaïma, la petite de dix ans qui crie et fait al statue, désolée, dépourvue de passe-temps, d’éducation, d’intérêts et peine à apprendre qui est le plus grand qui est son prophète, à Bouchamar, le plus jeune garçon après Sassi et Anouar, qui travaille à L’usine d’élevage de poissons, fume, boit et ne dit un mot de français, mais se mariera l’an prochain avec une tunisienne que personne n’a vu, puis même les trois petits de Sassi qui viennent hurler à leur tour avec la préadolescente, manger des glaces, récolter des bisous. Certes, tous ont besoin de Turkiya dont elle prend soin avec brio, cuisinière hors pair et obsédée de la propreté comme pas une, mais de qui, elle, bénéficie-t-elle, qui prend soin d’elle et s’attarde à sa santé, son bien-être?  Anouar considère qu’elle est heureuse comme ç et en tête-à-tête avec elle, elle se plaint constamment et parle de tout quitter et partir avec moi pour el Canada et y ouvrir un restaurant. Chacune nous rêvons à notre façon d’une autre vie, comme Mohammed au café, comme Ali quand la Celtia lui sort par les yeux. À ces banalités d’un quotidien que j’ai fait mien s’ajoute la demande en mariage que je ne peux accepter, même si elle vient d’un gars brillant qui me répète sans cesse qu’il est kif-kif arabe et anglais, qui entretient ses clients de politique et de morale comme nul autre pareil, mais ne peut pas développer son discours avec moi en raison de nos défaillances langagières. Je ne parle pas de Ali, c’est un bellâtre contemplateur qui se protège venant d’une grande fratrie et devant encore faire sa marque imaginaire, n’ayant le goût de sauter à pieds joints dans un possible désastre et ne voulant pas quitter son pays. Je parle du caractère semblable au mien, le gars avec qui je ris le plus, avec qui je mange presque matin, midi et soir, mais avec qui je ne peux pas faire l’amour et qui ne devient donc pas mon amour. Encore aujourd’hui, après une matinée en bateau, il ratissa toutes les rues de Hergla pour me trouver des coquillages, des étoiles de mer, des hippocampes à ramener dans mes bagages, il me cueille toutes les fleurs qu’il trouve sur son passage, me répète qu’il faut tout observer et tout savoir ou au moins tout vouloir savoir. C’est lui qui nomme les ânes les hommes-chaises, c’est lui qui me parle de deuxième guerre mondiale et s’enflamme sur les salafistes et Ben Ali. C’est encore lui qui s’encolère, les larmes aux yeux, parce que sa mère malade ne prend pas les conseils des médecins et se trouve mal, mal, mal. C’est lui qui pleure avec moi sur ma mère, c’est lui qui me respecte le plus, et ce, depuis des lustres. Et c’est aussi lui que j’abandonne pour un gars qui reconnaît les  enjoliveurs et se fâche contre moi quand je tiens des conversations qu’il ne comprends pas et ne l’intéresse pas. L’un est doux le jour et brutal au lit, l’autre s’enferme dans un mutisme jusqu’à ce que ses trois premières bières soient bues et me fait jouir. Merci le féminisme. Au final, tu ne sers à rien et je me précipite, avec ou sans toi, dans le même genre de mauvaise décision, à l’affut de l’orgasme plus que de quoi que ce soit d’autre, mais peut-être simplement parce que ceci ne durera qu’un temps. Il m’arrive de me dire que je délire et que j’accepte allégrement cet état de fait, que ce sont mes dernières vacances puisque j’ai peut-être trouvé l’homme de ma vie, malgré nos derniers égarements. N’empêche, les oiseaux chantent à tout rompre, c’est l’autre heure où ils peuvent manger ce qui jaillit des pelouses jaunies et constatent que les rayons d’or se sont mutés en roses au-dessus de la Méditerranée. Seuls les nuages ont accrochés des miettes de jaunes à leurs enflures et le miroir parfois si clair est dorénavant moiré de vert, plus calme que le ramage qui annonce un appel à la prière. À cette heure où les hergliens déambulent avant de manger et profiter de cette belle journée, une autre date à rayer du calendrier obligeant de sommeiller entre le zénith et sa fin de course, j’attends. C’est une posture, il me semble, toute féminine que j’ai adopté dès mon premier amour et que je répète chaque fois que le désir me tombe dessus, chaque fois que j’espère la venue de celui qui m’ouvrira le visage en plongeant ses mots dans mon cœur. Assise à la terrasse de l’hôtel à Nefta, dès le premier jour du rapt commis par ce prince à la barbe finement taillée, je l’ai attendu et ai écrit sur cette attente, comme j’ai pu le faire au Chanteuteuil, jadis, en attendant un autre tout aussi peu pressé d’arriver et un autre encore avant de partir. Je ne suis libre et libérée que sans amour, comme si ce sentiment, ce type de relation nouait autour de mon esprit un filet limitant mes geste, effaçant les autres désirs, alors qu’habituellement, bien célibataire et célibattante, il y en a tant. Toutes ces fois que je fus saisie par l’effroi de ne pas tout faire, de ne pas y arriver par manque de temps et tout ce temps perdu dans l’attente pour ne rien faire avec celui qui n’arrive pas fait voler mon féminisme en éclat. Ainsi, je pourrais avouer bien humblement et bien platement que je ne suis féministe que lorsque je suis seule avec moi-même, face à ma solitude. Sinon, je performe ce que tant d’autres ont fait avant, avec moi et que demain, peut-être ma fille fera. Quelle est cette constitution, qu’elle est cette éducation, quelle est cette graine plantée en nos âmes qui nous empêchent de déployer l’affaire et de ne pas espérer cette délivrance, ce plaisir, cet autre, comme si, au final, il n’y avait vraiment que ça d’important ou qui finissait par importer parmi la panoplie d’éléments cruciaux de nos vies. Est-ce seulement l’hétérosexualité qui engoncent els femmes dans ce marasme ? Est-ce que s’enamourer d’un semblable jette dans le même questionnement ? N’est-ce vraiment qu’un rapport de sexe ou suis

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