Ébranlé, échaudé est mon
féminisme. Presque deux mois en terre musulmane ne change pas nécessairement la
donne, mais m’a obligé à me frotter à mes présupposés, pas tant sur les hommes
que j’ai rencontré que sur les miens et ma façon de les appréhender. C’est
autant dans le harcèlement que dans la façon du gardien de me dire que je ne
devrais pas sortir lorsqu’il fait nuit,
car je devrais avoir peur de déambuler seule dans Hergla, mon village de 300
habitants dont j’en connais 500, puisque les autres sont des femmes et des
enfants et ne sortent justement pas quand le grand drap noir s’étend. C’est
dans cette fréquentation du café, désormais assidue puisque j’y rejoins presque
quotidiennement mon ami Anouar, ce dernier, malgré l’allusion aux films adultes
n’ayant pas franchi les étapes nécessaires pour recevoir un nom autre. La
rivière dorée est restée à sec malgré ses tentatives ou à cause d’elles,
de son empressement à aboutir qui me rebute tant. C’est dans la fréquentation du café, car dans
ceux-ci ne traine que la gent masculine qui n’en revient pas de me voir là et
de me voir, en plus, écrire ! Je peux toutefois me le permettre, car même
s’ils sont bêtes, ils ne se trompent pas sur mes origines et ne m’interdisent
pas l’accès pour raisons religieuses. Je suis un phénomène et ce fait est
respecté, bien qu’il rime souvent avec un rapport plutôt débridé à la
sexualité, dans leurs têtes, entendons-nous. Mohammed, un des tenanciers de ce
lieu où je me rends m’indique que la mentalité est arriérée, que la Tunisie est
un ensemble vide et que lui-même en a plein le dos de servir ces cons finis qui
ne pensent qu’à jouer aux cartes en buvant leur petit café et qui n’ouvrent
jamais un livre. Des ânes, que je lui dis. Il acquiesce et rêve de peu et de
tout avec son Bac 2, soit une voiture, une maison et une jolie fille, soit une
belle situation stable qui semble se raréfier dans nos existences à
tous. Le grand rêve, l’affaire traditionnelle autrefois si simple et
désormais si complexe, tant à atteindre qu’à conserver plus de quelques années.
Je le dis en pensant à tous ces divorcés qui sillonnent les cités dans ce qui
pourrait paraître être encore une patrie appartenant à ce monde d’antan, mais
non, et ce, bien avant que survienne la révolution ou plutôt qu’ils la fassent
à grands cris et à combustion publique. La dite modernité fait son œuvre
partout et crisse le monde à bout, souvent dans le désarroi si ce n’est le
malheur. Je constate que personne n’est épargné et le grand plaisir de se
rapprocher des autres réside peut-être strictement dans ce partage des
noirceurs qui console le temps qu’elles ne sont pas qu’à soi.
Mon féminisme est néanmoins
aussi foudroyé dans ses rapports plus intimes, soit quand je dois lutter contre
Anouar parce que son érection l’oblige à poser des actes que je refuse et que
sa seule excuse est de me dire qu’il est un homme. Oui, j’avais remarqué, comme
j’avais remarqué que les femmes boivent du thé, boivent à la paille et
reçoivent des fleurs tandis que les hommes boivent du café au verre et
sillonnent les rues en mobylettes. Mon féminisme bat la chamade quand Ali et
moi parvenons à la querelle de saoulons et qu’il me débite une liste de
reproches sur mes comportements paraissant irrespectueux aux yeux des
spectateurs de notre affaire, parce qu’il est un homme et a besoin de respect. C’est
aussi mon féminisme qui lui répond, âprement, que je suis une femme et ait le
même calisse de besoin, sans avoir oublier de mentionner à maintes reprises
qu’il existe plus qu’un océan entre nous. Je ne sais même pas s’il comprend,
n’ayant certainement pas lu quelques textes lui signifiant qu’une autre
révolution a battu et continu de battre son plein et son vide. J’écoute mon
cœur et il penche vers cet homme, mais ma tête me lance des signaux rouges
quand il raconte que les blanches sont si jolies avec le hijab, plus que les
arabes. Mettons que mon couvre-chef va se limiter au chèche, à la casquette, au
casque de vélo ou de moto et que les leçons islamiques ne m’intéressent plus
quand vient le temps de mettre ce voile qui ne me semble plus avoir sa raison
d’être. Je suis ébranlée quand une enfant d’à peine dix ans va à la plage et
qu’on s’écrit « haram », parce que sa camisole se relève et laisse
voir son nombril. Je suis toujours sur le cul quand je vois les gants portés à
presque 40 degré et j’entend cet ami me dire que ça lui semble strictement
arrogant, parce que présupposant que cette peau suscite le désir, est
dangereuse et qu’elle serait responsable de drames sexuels. Certes, je subis du
harcèlement, on me touche le bras dans la rue, on m’a même embrassé le tatou
que j’ai sur l’épaule. On m’a dit des millions de fois que j’étais belle. Je
collectionne les numéros de téléphone et les invitations à prendre des cafés,
mais personne n’a encore osé me violenter et je ne pense pas qu’Allah m’a ainsi
faite pour me cacher. Je ne pense pas que les hommes peuvent se promener en
short dans les rues et les femmes se couvrir de A à Z. Je ne dis pas que je
méprise icelles, je pense seulement que l’argumentaire est bien faible, s’il
est existant et que la Tunisie du 21e siècle ne devrait être
comprise comme l’Arabie du 6e siècle. Trop d’eau a coulé sous les
ponts, trop de sable a soufflé. Chaque moment que je passe en la maison Limem, je
vois Turkiya faire du ménage ou de la nourriture, ne pas sortir, ne pas se
reposer, ne jamais penser à elle, vivre une vie fort étrange. Toutes ces
activités, je le constate aussi, la défoule d’une certaine façon d’une rage
aussi prégnante et grande que la mienne, mais qui me désole, vue ses 32 ans,
vue les pouvoirs qu’elle recèle et qui ne s’épanouiront que dans la domesticité.
Certes, tous bénéficient de ses doléances, la mère malade aux reins et à
l’estomac pour laquelle je crains le pire étant donné que la diète ne change pas,
qu’elle git sur son lit du matin au soir ,le père qui tisse la chamille au
deuxième étage et descend manger et fumer, part au jardin promener l’âne et
nourrir les poules, Oumaïma, la petite de dix ans qui crie et fait al statue,
désolée, dépourvue de passe-temps, d’éducation, d’intérêts et peine à apprendre
qui est le plus grand qui est son prophète, à Bouchamar, le plus jeune garçon
après Sassi et Anouar, qui travaille à L’usine d’élevage de poissons, fume,
boit et ne dit un mot de français, mais se mariera l’an prochain avec une
tunisienne que personne n’a vu, puis même les trois petits de Sassi qui
viennent hurler à leur tour avec la préadolescente, manger des glaces, récolter
des bisous. Certes, tous ont besoin de Turkiya dont elle prend soin avec brio,
cuisinière hors pair et obsédée de la propreté comme pas une, mais de qui,
elle, bénéficie-t-elle, qui prend soin d’elle et s’attarde à sa santé, son
bien-être? Anouar considère qu’elle est
heureuse comme ç et en tête-à-tête avec elle, elle se plaint constamment et
parle de tout quitter et partir avec moi pour el Canada et y ouvrir un
restaurant. Chacune nous rêvons à notre façon d’une autre vie, comme Mohammed
au café, comme Ali quand la Celtia lui sort par les yeux. À ces banalités d’un
quotidien que j’ai fait mien s’ajoute la demande en mariage que je ne peux
accepter, même si elle vient d’un gars brillant qui me répète sans cesse
qu’il est kif-kif arabe et anglais, qui entretient ses clients de politique et
de morale comme nul autre pareil, mais ne peut pas développer son discours avec
moi en raison de nos défaillances langagières. Je ne parle pas de Ali, c’est un
bellâtre contemplateur qui se protège venant d’une grande fratrie et devant
encore faire sa marque imaginaire, n’ayant le goût de sauter à pieds joints
dans un possible désastre et ne voulant pas quitter son pays. Je parle du
caractère semblable au mien, le gars avec qui je ris le plus, avec qui je mange
presque matin, midi et soir, mais avec qui je ne peux pas faire l’amour et qui
ne devient donc pas mon amour. Encore aujourd’hui, après une matinée en bateau,
il ratissa toutes les rues de Hergla pour me trouver des coquillages, des
étoiles de mer, des hippocampes à ramener dans mes bagages, il me cueille
toutes les fleurs qu’il trouve sur son passage, me répète qu’il faut tout
observer et tout savoir ou au moins tout vouloir savoir. C’est lui qui nomme
les ânes les hommes-chaises, c’est lui qui me parle de deuxième guerre mondiale
et s’enflamme sur les salafistes et Ben Ali. C’est encore lui qui s’encolère,
les larmes aux yeux, parce que sa mère malade ne prend pas les conseils des
médecins et se trouve mal, mal, mal. C’est lui qui pleure avec moi
sur ma mère, c’est lui qui me respecte le plus, et ce, depuis des lustres. Et
c’est aussi lui que j’abandonne pour un gars qui reconnaît les enjoliveurs et se fâche contre moi quand je
tiens des conversations qu’il ne comprends pas et ne l’intéresse pas. L’un est
doux le jour et brutal au lit, l’autre s’enferme dans un mutisme jusqu’à ce que
ses trois premières bières soient bues et me fait jouir. Merci le
féminisme. Au final, tu ne sers à rien et je me précipite, avec ou sans toi,
dans le même genre de mauvaise décision, à l’affut de l’orgasme plus que de
quoi que ce soit d’autre, mais peut-être simplement parce que ceci ne durera
qu’un temps. Il m’arrive de me dire que je délire et que j’accepte allégrement
cet état de fait, que ce sont mes dernières vacances puisque j’ai peut-être trouvé
l’homme de ma vie, malgré nos derniers égarements. N’empêche, les oiseaux
chantent à tout rompre, c’est l’autre heure où ils peuvent manger ce qui
jaillit des pelouses jaunies et constatent que les rayons d’or se sont mutés en
roses au-dessus de la Méditerranée. Seuls les nuages ont accrochés des miettes
de jaunes à leurs enflures et le miroir parfois si clair est dorénavant moiré
de vert, plus calme que le ramage qui annonce un appel à la prière. À cette
heure où les hergliens déambulent avant de manger et profiter de cette belle
journée, une autre date à rayer du calendrier obligeant de sommeiller entre le
zénith et sa fin de course, j’attends. C’est une posture, il me semble, toute
féminine que j’ai adopté dès mon premier amour et que je répète chaque fois que
le désir me tombe dessus, chaque fois que j’espère la venue de celui qui
m’ouvrira le visage en plongeant ses mots dans mon cœur. Assise à la terrasse
de l’hôtel à Nefta, dès le premier jour du rapt commis par ce prince à la barbe
finement taillée, je l’ai attendu et ai écrit sur cette attente, comme j’ai pu
le faire au Chanteuteuil, jadis, en attendant un autre tout aussi peu pressé
d’arriver et un autre encore avant de partir. Je ne suis libre et libérée que
sans amour, comme si ce sentiment, ce type de relation nouait autour de mon
esprit un filet limitant mes geste, effaçant les autres désirs, alors
qu’habituellement, bien célibataire et célibattante, il y en a tant. Toutes ces
fois que je fus saisie par l’effroi de ne pas tout faire, de ne pas y arriver
par manque de temps et tout ce temps perdu dans l’attente pour ne rien faire
avec celui qui n’arrive pas fait voler mon féminisme en éclat. Ainsi, je
pourrais avouer bien humblement et bien platement que je ne suis féministe que
lorsque je suis seule avec moi-même, face à ma solitude. Sinon, je performe ce
que tant d’autres ont fait avant, avec moi et que demain, peut-être ma fille
fera. Quelle est cette constitution, qu’elle est cette éducation, quelle est
cette graine plantée en nos âmes qui nous empêchent de déployer l’affaire et de
ne pas espérer cette délivrance, ce plaisir, cet autre, comme si, au final, il
n’y avait vraiment que ça d’important ou qui finissait par importer parmi la
panoplie d’éléments cruciaux de nos vies. Est-ce seulement l’hétérosexualité
qui engoncent els femmes dans ce marasme ? Est-ce que s’enamourer d’un
semblable jette dans le même questionnement ? N’est-ce vraiment qu’un
rapport de sexe ou suis
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