vendredi 5 juillet 2013

Le féminisme

Le féminisme ne vient pas par manque de cause, de raison de se mobiliser, de combat nécessaire pour donner un sens. Le féminisme ne résulte pas d’une partie de plaisir et ne s’instrumentalise pas pour paraître en résonnance avec le goût du jour, en accord avec des idées de justice sociale à défendre, et ce, de manière globale et inclusive. Au fondement de ce mouvement qui ne peut plus être freiné, il n’y a pas une jolie théorie. À la base même de ce qui devint une conviction avant de n’être une lutte ou une posture adoptée, il y a une rage qui, même rationalisée, ne cesse de gronder et de menacer, j’ose l’espérer, la domination crasse des hommes, de certains pour ne pas dire plusieurs, qui ne se montrent que bien peu à la hauteur de ce qu’ils avancent. On devient féministe parce que les hommes, la somme considérable de ceux qui se plantent en notre chemin, pour le meilleur et pour le pire, finissent par nous briser, nous repousser dans nos retranchements, nous confirmer que cette intuition de leur pauvre faiblesse n’est pas qu’intuition. Elle se vérifie, jour après jour, auprès des plus intelligents, des plus beaux, des plus forts. Certes, ils brillent en société, ils sont invités à toutes les mondanités, prennent part aux grandes lignes de l’histoire et au fond de leur chambre à coucher, lorsqu’ils sont près de nous, tête reposée, ils ne se montrent plus digne de ce qui rempli les livres. Ils auront beau dire, ils auront beau faire, je suis devenue féministe et ce féminisme se durcit, se radicalise parce que même ceux qui trempent le bout de leurs yeux aux écrits des femmes, trois quatre textes dans l’océan infini des auteurs masculins auxquels ils se sont abreuvés, même s’ils saisissent le contenu de ces lignes noires, demeurent incapables de l’appliquer, inaptes à faire que la pensée, le dire et le faire s’accorde en une éthique cohérente. Il est de bon ton de citer le contrat sexuel et les importants travaux de cette vague qui, si elle se brise, ne s’en reforme pas moins, comme le mouvement de la mer l’enseigne. Il semble bien poli de mentionner au détour d’un cours sur la pensée critique, trois femmes et ainsi révéler que la pensée critique est aride, qu’elle peut s’échouer sur les rives de ce qui est, à la limite même de son émergence, échouer. Le féminisme est dorénavant la pensée critique et la masse des hommes qui remplissent les universités n’y pense même pas, ne l’active pas, ne s’y intéresse parfois que pour l’instrumentaliser ou encore se blanchir les mains qu’ils n’ont, soyons honnêtes, jamais blanches malgré leur peau fine d’intellectuel ou de militant. Il est impossible de se laver les extrémités au bain de ce corpus, de ces idées incendiaires qui ne brûlent pas suffisamment de fagots à mon goût, qui, assurément, même en contact, ne purifie pas des erreurs commises, des crimes fomentés et réalisés.

Mon féminisme se radicalise, il lui pousse une barbe touffue où je ne ris pas du tout, mais pas tout. Ce n’est pas drôle et ça ne sert surtout pas à faire de l’esprit, puisque c’est une pensée qui prend au corps et en vient, qui ne se gêne pas d’ailleurs pour l’affirmer, contrairement à toutes les philosophies qui l’ont précédé ou qui prétendent encore voir le jour en ce monde saturé de signes, mais en disette de nouveauté. On ne devient pas féministe parce qu’on ne sait plus quoi faire de ses dix doigts, enfin libérée de maintes tâches domestiques ou parce qu’il y a tant de temps à tuer, dans l’ennui et l’attente d’être, par un homme serviable et charmant, libérée. Le féminisme n’est pas une geôle d’où il faut sortir, tout comme ‘le féminin’ d’ailleurs. Il est plutôt la boussole qui indique invariablement ce nord magnétique, ce qui crée la prison dans laquelle, malheureusement, pas que les femmes sont prises. Les hommes aussi sont aux prises avec les barreaux érigés avec soin depuis toutes ces années d’humanité, mais puisqu’ils croient que ça les sert, ça perdure. D’ailleurs, il ne faut pas se mentir, ça sert au plus grand nombre, mais tant d’autres en subissent les affres, vivent une existence d’aléas personnels qui ne savent identifier, mais dont la racine se plonge au plus profond de ce terreau qu’est la domination des femmes, la transmission de cette idée qu’elles sont inférieures, émotives, incontrôlables et que, pour cette déraison, doivent être mises sous un joug cruel. La virilité des hommes ne croie qu’à la domination des femmes, seul celui qui peut prétendre maîtriser sa femelle ou d’innombrables femelles, porte fièrement ce titre. Et ça n’est que plus flamboyant quand la domination s’exerce également sur ses semblables, son frère, son fils, son ami maté par la puissance du verbe ou des muscles, la fortune sonnante et trébuchante, par l’aura mystérieux d’une confiance toute construite de narcissisme qui ne s’appuie peut-être finalement qu’au regard aimant de maman. Le chéri est béni, sa mère, celle qui l’a mise au monde et qui en a pris un soin presque déraisonnable est sous le charme, sous l’emprise, elle est sous, malgré la position hiérarchique, malgré l’âge qui fait qu’elle le précède dans la chaine, malgré qu’il en soit parfaitement dépendant, et ce, pendant de longues années.

Mon féminisme n’est pas celui de mes amies. Polymorphe en soi, multiforme en dehors de soi, ce n’est pas quelque chose qui se saisit ou fléchit aisément, ça ne peut que se réfléchir. Françoise Collin parlait d’un devenir constant, une philosophie donc qui se fait constamment, qui se pense sans arrêt, qui doute, bien évidemment, car il le faut bien, car ça ne peut fonctionner comme les dites assurances des avancées autres. Le féminisme, à cet effet, peut-être n’avance pas, mais va à l’encontre de ce sacrosaint progrès ou cette suggestion de l’évolution que j’abhorre. Monter une pente, amener le rocher au sommet, de toutes ses forces, mobilisant les ressources entières de la terre pour ne revoir que cette pierre rouler avec vélocité vers le fond de la vallée. S’imaginer le contraire, malgré les édifices érigées sur tant de montagnes, pics rocheux ou verdoyants, villes imprenables et ruines qui disent l’intelligence provoquée par la crainte des dangers, par ce grand universel, le seul qu’il nous reste, la vulnérabilité, c’est, à mon sens, errer bien autant que les petites dames. Tout fini par s’écrouler et cette dite évolution qui se fait d’un alpha à un oméga, révélant l’amélioration, alors qu’il n’est pas si certain que nous soyons meilleurs que nos ancêtres en dehors de considérations techniques, me rebute. Je n’y crois pas, j’y adhère encore moins qu’aux multiples implicites de nos vies sociales et linguistiques. Je suis davantage convaincue de bonds, certes, fait vers l’avant, mais accompagnés de sauts vers la gauche, la droite, l’arrière, de mouvements allant dans toutes les directions, et maintenant plus qu’hier, indiquant par-là que l’évolution, ce n’est hypothétiquement que dispersion. Les critiques faites à l’égard du féminisme sont pléthores. Parmi ces dernières, le mouvement même qui n’a pas UNE direction. Les féministes semblables à une foule dispersée dans tant de rues, incapables de se réunir derrière la même bannière et marcher en groupe, en rang vers un but très clair. Pourtant, si ce combat n’est pas ordonné comme pouvaient l’être ceux les formations des Romains recouverts de leurs armures, carapace leur permettant d’éviter de nombreuses pertes, il n’en est pas moins un combat. Il se fait nu, comparable à la lutte turque où les corps s’empoignent à mains toutes aussi nues, répandus aléatoirement à différents endroits dans un champ qui se recouvre de boue, qui se transforme sous le poids de ces masses huileuses qui tentent presque désespérément de se mettre à terre alors que la poigne, précisément, manque. Le féminisme n’avance pas, il roule, mais contre l’adage, il amasse mousse et cette écume aux lèvres est le résultat de siècles d’une rage contenue. Oui, c’est bien la pierre enfin parvenue à la cime qui tremble, chambranle et à la moindre poussée, est propulsée au fond du ravin, là d’où elle vient, là d’où on l’a prise pour la dresser le plus près du soleil après des efforts qui se sont étendus dans la durée, un laps plus long que cette descente effrénée. Le féminisme ramène le gros caillou à ras de terre en peu de secondes. Encore faut-il prendre de ce temps pour le constater et s’en convaincre, voir que le démontage est plus rapide que l’édification, et ce, malgré les siècles qui ont été nécessaires pour en arriver là, malgré les efforts encore déployés pour faire croire que le grosse pierre est toujours en érection faisant en sorte que plusieurs sont persuadés qu’elle est là, bien bandée contre vents venant de toutes les directions. 

J’en reviens au germe à partir duquel pousse cette forêt, trop souvent cachée par l’unité qui, dois-je le rappeler, n’est pas. Le féminisme ne vient pas par manque. Il pro-vient d’un surplus, d’un surcroit de manques : déférence, considération, respect, espace, calme, mais encore plus d’un excès de violence, de mensonge, d’abus de diverses sortes. Je n’ai même pas envie de regrouper ces termes sous celui d’injustice, son envers étant un autre construit servant les intérêts des uns aux détriments des autres, malgré sa prétention à protéger la veuve et l’orphelin. Trop fréquemment, ces deux groupes étant identifiés comme les responsables des crimes, acculés à des murs où leurs lamentations sont tues sous le vacarme produit par cette machine qu’est la justice qui, elle, a le droit de nommer, comme Dieu pour créer le monde, comme Adam pour dominer le monde. Le pouvoir de la parole majestueuse et brillante est enlevée à ceux et celles qui ne participent au consensus. Les tragédies grecques qui font entendre les voix d’Antigone, Clytemnestre et Médée servent à illustrer le désordre qui, par celles-ci, envahit la cité. Pourtant, le bordel est déjà là, il ne faudrait pas faire fi des situations qui provoquent les femmes et les font sortir de leurs gonds, de leurs maisons, de tous ces lieux où on cherche à les enfermer, les faire taire, les en-tairer. La guerre bat son plein jusque sur le seuil de leur demeure, l’injustice repend le sang et la désolation dans l’âtre des foyers et soucieuses d’économie, oh oui, elles partent, à leur tour, en campagne. Ces femmes désormais dans les rues peuvent circuler parce que les hommes ont déserté, se devant d’être encore plus virils en allant abattre leur père, leur frère, leur fils et imbiber la terre de leur suc écarlate. Les hommes perpétuent donc un état d’urgence, de siège, de malédictions sur la maison de leurs femmes, mais ce sont icelles qui reçoivent l’accusation, mais il appert que ce sont elles qui engendrent le chaos. C’est ainsi parce qu’ils le disent et parce que par analogie, ça ne peut qu’être de leur ressort. C’est dans leur nature. Le pouvoir de la parole est ainsi repris, retourné, comme si ceux qui prétendent savoir l’utiliser à bon escient n’avait pas la même arme dans le milieu de la figure, n’était pas détenteur d’une possibilité semblable de blesser, innocentés de tout dès les couches par le sourire doux de leur mère et les caresses attendries qu’elle a déposés sur eux, les protégeant, de fait, du mal. Les mains des femmes, comme des  talismans, qu’il est souhaitable d’avoir sur la peau, dans la peau, exactement où il le faut, où les hommes décident de leur prendre, dont ils doivent se faire propriétaire, car les mains des femmes et leur langue ont des pouvoirs qu’ils n’auraient pas. C’est ainsi qu’elles deviennent responsables de guerre qu’elle ne déclenchent pas. Mais je m’égare, et suivant le fil sinueux du féminisme, c’est presque normal…En plus, les miettes de pain déposé sur le sentier ont été mangées. Ce n’est pas d’emblée tout indiqué et c’est là aussi que réside l’intérêt de cette pensée. Elle se pense encore, elle se penche encore sur le sexe des unes et des autres. Parce que oui, à ce moment-ci, il convient de s’attarder au sexe et certainement pas pour dire ce qu’est une femme, les définitions aux dictionnaires étant d’une niaiserie à faire pleurer, car encore, on ne rit parce que ça n’est pas drôle. En soi, c’est bénin puisque ça ressemble à tant d’autres entrées, mais c’est en comparant cette dernière avec celle de monsieur que le bat blesse et pas juste le bas! La femme est son sexe, l’homme, lui, se déploie précisément dans toutes créations civilisatrices avec tous les instruments qui lui servent à mettre la main sur la femme qui porte au ventre le secret, le processus de création qu’ils veulent toucher et duquel ils tentent d’extraire les femmes. Pourtant, ne les a-t-on pas brûlées parce qu’elles savaient et assistaient à la mise au monde tandis qu’ils attendaient dans l’antichambre ? N’a-t-on pas créer une science les excluant du fait de leur sensibilité et de leur manque d’intelligence pour enfin mettre la main et la tête au vagin de celles avec qui ils ne partageaient la couche ? La gynécologie, l’affaire qui a d’abord pris ce savoir à la femme, comme aujourd’hui certains prennent le féminisme. Puis, il n’y a cette paix qui ne règne longtemps, parce que des colons arrivent toujours et expulsent, quand c’est possible, les premiers habitants. Histoire classique dont les femmes ont été les premières à payer le gros prix, qu’elles paient encore, comme une dette indélébile qu’elles auraient contractée en ayant la possibilité d’enfanter. D’autres avant moi l’ont répété, d’autres le diront encore dans cent ans puisque je doute que ce sera compris. Ne sont-elles pas toujours responsables même des viols que l’ont commet contre elles ? Des attaques et des assauts faits à leur chair, territoire de délices qu’il convient de s’approprier comme si une sauvagerie sous-entendait une prise en charge, une domestication forcée, mais nécessaire, car sans cela, les ressources innombrables qui peuvent y être multipliées seraient perdues, les femmes ne sachant trop quoi faire de leur corps, de tout ce qu’elles ont. Mon féminisme se radicalise, les hommes que j’ai aimés, tout ceux que je ne parvient même plus à voir, y ont contribué. Je ne sais plus comment m’attendrir, je ne sais plus comment faire confiance, je ne sais plus m’y prendre et ne pas me méprendre. En plus, il s’est radicalisé dans les draps de l’amour, dans les frissonnements offerts et presque aussitôt repris, dans les émois et les endurcissements subséquents que ces moindres relâchements demandaient. Car oui, baisser la garde pour baiser, c’est redonner raison à cette déraison qui dévaste l’humanité, qui inonde de larmes le visage de tant de jeunes filles, qui brise le cœur de tant de mères mûres, qui les laissent dans un état, souvent, de délabrement, car même l’amour des hommes est un fait ou une illusion qui provoque la colère, le désarroi, la perte de l’amour-propre.


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