Le féminisme ne
vient pas par manque de cause, de raison de se mobiliser, de combat nécessaire
pour donner un sens. Le féminisme ne résulte pas d’une partie de plaisir et ne
s’instrumentalise pas pour paraître en résonnance avec le goût du jour, en
accord avec des idées de justice sociale à défendre, et ce, de manière globale
et inclusive. Au fondement de ce mouvement qui ne peut plus être freiné, il n’y
a pas une jolie théorie. À la base même de ce qui devint une conviction avant
de n’être une lutte ou une posture adoptée, il y a une rage qui, même
rationalisée, ne cesse de gronder et de menacer, j’ose l’espérer, la domination
crasse des hommes, de certains pour ne pas dire plusieurs, qui ne se montrent
que bien peu à la hauteur de ce qu’ils avancent. On devient féministe parce que
les hommes, la somme considérable de ceux qui se plantent en notre chemin, pour
le meilleur et pour le pire, finissent par nous briser, nous repousser dans nos
retranchements, nous confirmer que cette intuition de leur pauvre faiblesse
n’est pas qu’intuition. Elle se vérifie, jour après jour, auprès des plus
intelligents, des plus beaux, des plus forts. Certes, ils brillent en société,
ils sont invités à toutes les mondanités, prennent part aux grandes lignes de
l’histoire et au fond de leur chambre à coucher, lorsqu’ils sont près de nous,
tête reposée, ils ne se montrent plus digne de ce qui rempli les livres. Ils
auront beau dire, ils auront beau faire, je suis devenue féministe et ce
féminisme se durcit, se radicalise parce que même ceux qui trempent le bout de
leurs yeux aux écrits des femmes, trois quatre textes dans l’océan infini des
auteurs masculins auxquels ils se sont abreuvés, même s’ils saisissent le
contenu de ces lignes noires, demeurent incapables de l’appliquer, inaptes à
faire que la pensée, le dire et le faire s’accorde en une éthique cohérente. Il
est de bon ton de citer le contrat sexuel et les importants travaux de cette
vague qui, si elle se brise, ne s’en reforme pas moins, comme le mouvement de
la mer l’enseigne. Il semble bien poli de mentionner au détour d’un cours sur
la pensée critique, trois femmes et ainsi révéler que la pensée critique est
aride, qu’elle peut s’échouer sur les rives de ce qui est, à la limite même de
son émergence, échouer. Le féminisme est dorénavant la pensée critique et la
masse des hommes qui remplissent les universités n’y pense même pas, ne
l’active pas, ne s’y intéresse parfois que pour l’instrumentaliser ou encore se
blanchir les mains qu’ils n’ont, soyons honnêtes, jamais blanches malgré leur
peau fine d’intellectuel ou de militant. Il est impossible de se laver les
extrémités au bain de ce corpus, de ces idées incendiaires qui ne brûlent pas
suffisamment de fagots à mon goût, qui, assurément, même en contact, ne purifie
pas des erreurs commises, des crimes fomentés et réalisés.
Mon féminisme se
radicalise, il lui pousse une barbe touffue où je ne ris pas du tout, mais pas
tout. Ce n’est pas drôle et ça ne sert surtout pas à faire de l’esprit, puisque
c’est une pensée qui prend au corps et en vient, qui ne se gêne pas d’ailleurs
pour l’affirmer, contrairement à toutes les philosophies qui l’ont précédé ou
qui prétendent encore voir le jour en ce monde saturé de signes, mais en
disette de nouveauté. On ne devient pas féministe parce qu’on ne sait plus quoi
faire de ses dix doigts, enfin libérée de maintes tâches domestiques ou parce
qu’il y a tant de temps à tuer, dans l’ennui et l’attente d’être, par un homme
serviable et charmant, libérée. Le féminisme n’est pas une geôle d’où il faut
sortir, tout comme ‘le féminin’ d’ailleurs. Il est plutôt la boussole qui
indique invariablement ce nord magnétique, ce qui crée la prison dans laquelle,
malheureusement, pas que les femmes sont prises. Les hommes aussi sont aux
prises avec les barreaux érigés avec soin depuis toutes ces années d’humanité,
mais puisqu’ils croient que ça les sert, ça perdure. D’ailleurs, il ne faut pas
se mentir, ça sert au plus grand nombre, mais tant d’autres en subissent les
affres, vivent une existence d’aléas personnels qui ne savent identifier, mais
dont la racine se plonge au plus profond de ce terreau qu’est la domination des
femmes, la transmission de cette idée qu’elles sont inférieures, émotives,
incontrôlables et que, pour cette déraison, doivent être mises sous un joug
cruel. La virilité des hommes ne croie qu’à la domination des femmes, seul
celui qui peut prétendre maîtriser sa femelle ou d’innombrables femelles, porte
fièrement ce titre. Et ça n’est que plus flamboyant quand la domination
s’exerce également sur ses semblables, son frère, son fils, son ami maté par la
puissance du verbe ou des muscles, la fortune sonnante et trébuchante, par
l’aura mystérieux d’une confiance toute construite de narcissisme qui ne
s’appuie peut-être finalement qu’au regard aimant de maman. Le chéri est béni,
sa mère, celle qui l’a mise au monde et qui en a pris un soin presque
déraisonnable est sous le charme, sous l’emprise, elle est sous, malgré la position hiérarchique, malgré l’âge qui fait
qu’elle le précède dans la chaine, malgré qu’il en soit parfaitement dépendant,
et ce, pendant de longues années.
Mon féminisme
n’est pas celui de mes amies. Polymorphe en soi, multiforme en dehors de soi,
ce n’est pas quelque chose qui se saisit ou fléchit aisément, ça ne peut que se
réfléchir. Françoise Collin parlait d’un devenir constant, une philosophie donc
qui se fait constamment, qui se pense sans arrêt, qui doute, bien évidemment,
car il le faut bien, car ça ne peut fonctionner comme les dites assurances des
avancées autres. Le féminisme, à cet effet, peut-être n’avance pas, mais va à
l’encontre de ce sacrosaint progrès ou cette suggestion de l’évolution que
j’abhorre. Monter une pente, amener le rocher au sommet, de toutes ses forces,
mobilisant les ressources entières de la terre pour ne revoir que cette pierre
rouler avec vélocité vers le fond de la vallée. S’imaginer le contraire, malgré
les édifices érigées sur tant de montagnes, pics rocheux ou verdoyants, villes
imprenables et ruines qui disent l’intelligence provoquée par la crainte des
dangers, par ce grand universel, le seul qu’il nous reste, la vulnérabilité,
c’est, à mon sens, errer bien autant que les petites dames. Tout fini par
s’écrouler et cette dite évolution qui se fait d’un alpha à un oméga, révélant
l’amélioration, alors qu’il n’est pas si certain que nous soyons meilleurs que
nos ancêtres en dehors de considérations techniques, me rebute. Je n’y crois
pas, j’y adhère encore moins qu’aux multiples implicites de nos vies sociales
et linguistiques. Je suis davantage convaincue de bonds, certes, fait vers
l’avant, mais accompagnés de sauts vers la gauche, la droite, l’arrière, de
mouvements allant dans toutes les directions, et maintenant plus qu’hier,
indiquant par-là que l’évolution, ce n’est hypothétiquement que dispersion. Les
critiques faites à l’égard du féminisme sont pléthores. Parmi ces dernières, le
mouvement même qui n’a pas UNE direction. Les féministes semblables à une foule
dispersée dans tant de rues, incapables de se réunir derrière la même bannière
et marcher en groupe, en rang vers un but très clair. Pourtant, si ce combat
n’est pas ordonné comme pouvaient l’être ceux les formations des Romains
recouverts de leurs armures, carapace leur permettant d’éviter de nombreuses
pertes, il n’en est pas moins un combat. Il se fait nu, comparable à la lutte
turque où les corps s’empoignent à mains toutes aussi nues, répandus aléatoirement
à différents endroits dans un champ qui se recouvre de boue, qui se transforme
sous le poids de ces masses huileuses qui tentent presque désespérément de se
mettre à terre alors que la poigne, précisément, manque. Le féminisme n’avance
pas, il roule, mais contre l’adage, il amasse mousse et cette écume aux lèvres
est le résultat de siècles d’une rage contenue. Oui, c’est bien la pierre enfin
parvenue à la cime qui tremble, chambranle et à la moindre poussée, est
propulsée au fond du ravin, là d’où elle vient, là d’où on l’a prise pour la
dresser le plus près du soleil après des efforts qui se sont étendus dans la
durée, un laps plus long que cette descente effrénée. Le féminisme ramène le
gros caillou à ras de terre en peu de secondes. Encore faut-il prendre de ce
temps pour le constater et s’en convaincre, voir que le démontage est plus
rapide que l’édification, et ce, malgré les siècles qui ont été nécessaires
pour en arriver là, malgré les efforts encore déployés pour faire croire que le
grosse pierre est toujours en érection faisant en sorte que plusieurs sont
persuadés qu’elle est là, bien bandée contre vents venant de toutes les
directions.
J’en reviens au
germe à partir duquel pousse cette forêt, trop souvent cachée par l’unité qui,
dois-je le rappeler, n’est pas. Le féminisme ne vient pas par manque. Il
pro-vient d’un surplus, d’un surcroit de manques : déférence,
considération, respect, espace, calme, mais encore plus d’un excès de violence,
de mensonge, d’abus de diverses sortes. Je n’ai même pas envie de regrouper ces
termes sous celui d’injustice, son envers étant un autre construit servant les
intérêts des uns aux détriments des autres, malgré sa prétention à protéger la
veuve et l’orphelin. Trop fréquemment, ces deux groupes étant identifiés comme
les responsables des crimes, acculés à des murs où leurs lamentations sont tues
sous le vacarme produit par cette machine qu’est la justice qui, elle, a le
droit de nommer, comme Dieu pour créer le monde, comme Adam pour dominer le
monde. Le pouvoir de la parole majestueuse et brillante est enlevée à ceux et
celles qui ne participent au consensus. Les tragédies grecques qui font
entendre les voix d’Antigone, Clytemnestre et Médée servent à illustrer le
désordre qui, par celles-ci, envahit la cité. Pourtant, le bordel est déjà là,
il ne faudrait pas faire fi des situations qui provoquent les femmes et les
font sortir de leurs gonds, de leurs maisons, de tous ces lieux où on cherche à
les enfermer, les faire taire, les en-tairer. La guerre bat son plein jusque
sur le seuil de leur demeure, l’injustice repend le sang et la désolation dans
l’âtre des foyers et soucieuses d’économie, oh oui, elles partent, à leur tour,
en campagne. Ces femmes désormais dans les rues peuvent circuler parce que les
hommes ont déserté, se devant d’être encore plus virils en allant abattre leur
père, leur frère, leur fils et imbiber la terre de leur suc écarlate. Les
hommes perpétuent donc un état d’urgence, de siège, de malédictions sur la
maison de leurs femmes, mais ce sont icelles qui reçoivent l’accusation, mais
il appert que ce sont elles qui engendrent le chaos. C’est ainsi parce qu’ils
le disent et parce que par analogie, ça ne peut qu’être de leur ressort. C’est
dans leur nature. Le pouvoir de la parole est ainsi repris, retourné, comme si ceux
qui prétendent savoir l’utiliser à bon escient n’avait pas la même arme dans le
milieu de la figure, n’était pas détenteur d’une possibilité semblable de
blesser, innocentés de tout dès les couches par le sourire doux de leur mère et
les caresses attendries qu’elle a déposés sur eux, les protégeant, de fait, du
mal. Les mains des femmes, comme des
talismans, qu’il est souhaitable d’avoir sur la peau, dans la peau,
exactement où il le faut, où les hommes décident de leur prendre, dont ils
doivent se faire propriétaire, car les mains des femmes et leur langue ont des
pouvoirs qu’ils n’auraient pas. C’est ainsi qu’elles deviennent responsables de
guerre qu’elle ne déclenchent pas. Mais je m’égare, et suivant le fil sinueux
du féminisme, c’est presque normal…En plus, les miettes de pain déposé sur le
sentier ont été mangées. Ce n’est pas d’emblée tout indiqué et c’est là aussi
que réside l’intérêt de cette pensée. Elle se pense encore, elle se penche
encore sur le sexe des unes et des autres. Parce que oui, à ce moment-ci, il
convient de s’attarder au sexe et certainement pas pour dire ce qu’est une
femme, les définitions aux dictionnaires étant d’une niaiserie à faire pleurer,
car encore, on ne rit parce que ça n’est pas drôle. En soi, c’est bénin puisque
ça ressemble à tant d’autres entrées, mais c’est en comparant cette dernière
avec celle de monsieur que le bat blesse et pas juste le bas! La femme est son
sexe, l’homme, lui, se déploie précisément dans toutes créations civilisatrices
avec tous les instruments qui lui servent à mettre la main sur la femme qui
porte au ventre le secret, le processus de création qu’ils veulent toucher et
duquel ils tentent d’extraire les femmes. Pourtant, ne les a-t-on pas brûlées
parce qu’elles savaient et assistaient à la mise au monde tandis qu’ils
attendaient dans l’antichambre ? N’a-t-on pas créer une science les excluant du
fait de leur sensibilité et de leur manque d’intelligence pour enfin mettre la
main et la tête au vagin de celles avec qui ils ne partageaient la couche ? La
gynécologie, l’affaire qui a d’abord pris ce savoir à la femme, comme
aujourd’hui certains prennent le féminisme. Puis, il n’y a cette paix qui ne règne
longtemps, parce que des colons arrivent toujours et expulsent, quand c’est
possible, les premiers habitants. Histoire classique dont les femmes ont été
les premières à payer le gros prix, qu’elles paient encore, comme une dette
indélébile qu’elles auraient contractée en ayant la possibilité d’enfanter.
D’autres avant moi l’ont répété, d’autres le diront encore dans cent ans
puisque je doute que ce sera compris. Ne sont-elles pas toujours responsables
même des viols que l’ont commet contre elles ? Des attaques et des assauts
faits à leur chair, territoire de délices qu’il convient de s’approprier comme
si une sauvagerie sous-entendait une prise en charge, une domestication forcée,
mais nécessaire, car sans cela, les ressources innombrables qui peuvent y être
multipliées seraient perdues, les femmes ne sachant trop quoi faire de leur
corps, de tout ce qu’elles ont. Mon féminisme se radicalise, les hommes que
j’ai aimés, tout ceux que je ne parvient même plus à voir, y ont contribué. Je
ne sais plus comment m’attendrir, je ne sais plus comment faire confiance, je
ne sais plus m’y prendre et ne pas me méprendre. En plus, il s’est radicalisé
dans les draps de l’amour, dans les frissonnements offerts et presque aussitôt
repris, dans les émois et les endurcissements subséquents que ces moindres
relâchements demandaient. Car oui, baisser la garde pour baiser, c’est redonner
raison à cette déraison qui dévaste l’humanité, qui inonde de larmes le visage
de tant de jeunes filles, qui brise le cœur de tant de mères mûres, qui les
laissent dans un état, souvent, de délabrement, car même l’amour des hommes est
un fait ou une illusion qui provoque la colère, le désarroi, la perte de
l’amour-propre.
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