Il y a dans l’air tard le soir de
sons qui frôlent les cohues identitaires. Je vois le Québec vivant
difficilement sa démocratie, perdant le mot dans ses entrechocs linguistiques,
ne sachant plus que ça ne signifie pas un unanime oui. Ça hurle, ça crachotte,
ça va d’un bord ou de l’autre et c’est de ne pas sombrer dans l’immobilité qui
fait sa survie. Au Québec, lever le ton, intempestivement dire non, manifester
son désaccord et le voile tombe, les murs s’érigent, le silence se fait. Le
débat n’est jamais ouvert, le débat n’a pas lieu et on est content, ventripotents,
de se dire qu’on vit en paix. Le monde y est malade plus qu’en maints autres
endroits, mais nous sommes convaincus que ça va bien puisqu’il est possible de
déambuler calmement sur nos rues principales sans subir de débordements ou ne
grogne populaire. Ça gronde pourtant, ça coince, ça brule dans les chaumières
et aux champs vacants de notre politique, il faut s’ériger de marbre ou de
sable, mais prendre la mesure de ce qui nous dépasse. Serait-ce seulement
possible de comprendre que le désaccord qui s’insinue entre deux êtres, deux
groupes n’est pas synonyme de guerre ou d’instabilité? Savoir pertinemment
qu’ainsi se forge un espace commun, même si certains s’en sentent
fondamentalement exclus? Que s’est à se sentir ainsi que le débat continue, que
le mouvement se poursuit, que l’affaire est une quête et non un port où nous
sommes tellement bienvenus? Démocratie. J’entends qu’on parle et j’entends qu’on
parle et c’est déjà ça.
Comme à Beyrouth, comme à
Belizecity, ce qui règne en maître à Tunis sont les déchets. Cette fois, c’est
le choc. Plus qu’à l’habitude parce que nos efforts sont tellement localisés.
Certes, nous sommes des consommateurs hors pair, mais les sacs de plastique,
les bouteilles vides, les cœurs de pomme et de laitue, les godasses finies, les
bouts de tissus, les portes de char, les tabourets équarris, les rideaux
vermoulus, les boîtes de carton, les mégots de cigarette, les embouts de
plastique, les cassette VHS, les
élastiques, les éclats de verres, les planches pourries, les moignons de pain,
les cailloux épars, les restes de construction du quartier en plein
développement, résidences somptueuses pour étrangers venus travailler tandis
que les Tunisiens croulent sous le chômage, font la joie des chats errants,
petites portées qui hurlent de faim et de solitude, grosses chattes qui
surveillent juchée sur les bacs d’acier, horde qui sommeillent, repue, à
l’ombre des bougainvilliers. Je capote. Le rond point, celui sans fontaine, est
orné de toutes les cochonneries que les automobilistes jettent par la fenêtre
ou que le vent accroche aux maigres arbrisseaux qui tentent de vivre sous le Siroco
ou le vent chargé de sable rouge qui empoussière les mêmes voitures, les
fenêtres, les chaussures. La ville, ces derniers jours, s’est fardée de cet
orange et rien ne peut le déloger sauf un majestueux orage qui n’éclate pas.
Les nuages voguent vers le nord, poussés par ce vent charriant le souffle du
désert, quelque chose de manifestement brulant. Les déchets roulent et
paralysés aux embouchures des rues, jonchent là, semblant oubliés de la vue des
passants. Chaque pas exige de regarder où il se dirige, où il se pose, chaque
pas peut se trouver dans la merde ou dans cette marge crée à l’orée du
trottoir. Chaque fois, c’est le choc et ce n’est pas qu’aux yeux. Je me
souviens de cette montagne russe olfactive en remontant l’avenue John F. Kennedy
allant en direction de l’Université Américaine de Beyrouth. D’abord, le diesel
en raison de la présence de Leo Car en face de la maison, puis la cannelle
étant donné qu’un épicier fait boutique un peu plus haut, enfin l’odeur de pois
chiches écrabouillés qui longtemps a été confondu avec celle du sperme, parce que
oui, le pois chiche macéré et écrabouillé ça sent le sperme. Il y avait si je
ne m’abuse également un égout arrivé au sommet de la butte qui répandait ses
effluves insupportables justifiant le port momentané du foulard au visage.
Beyrouth ne cessait d’être une expérience, ne cessait de changer et un aveugle
y trouve encore probablement son chemin par ses trajectoires odoriférantes. On m’y
ramènerait demain et je pourrais, je crois, remonter jusqu’à la rue Hamra
dorénavant bien pavée, à moins que la dernière guerre ait eu raison de ce
travail colossal toujours fait de nuit puisque les jours sont fous et qu’alors
les parfums y sont aussi moins violents.
Il ne semble pas y avoir de lien entre la démocratie et ces dépotoirs à ciel ouvert, et pourtant. J,y reviendrai. J'exposerai alors comment je vois ces choses.
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